Avec l'age, je suis devenu un lève tôt. J'ai perdu l’habitude de laisser s'étendre la nuit quelques heures de plus au fond des draps, quelques soit la lumière dehors. Je me suis ainsi aperçu qu'à ces moments-là mon cerveau comme neuf buvait mes lectures avec plus de puretés, sans aucun éclat d'une journée pleine de monde, les sentiments décantés dans mes pensées, les phrases étaient toutes à moi. Limpide avant le brouhaha du dehors, avant que le vent ne vienne faire chuchoter les feuilles ou siffler les branches nues, la lecture des mots de l'auteur entrait bien plus clairement dans mes cellules.
Il m'arrive souvent le soir, de perdre le file de ma lecture en me laissant malgré moi envahir par les faits des heures précédentes, celles qui en plein jours ont pu marquer plus franchement mes ressentiments. Relire une page entière pour m'être dispersé en m'éloignant des mots. La lumière est pourtant la même, le fauteuil orienté de la même façon et je comprends certains auteurs travaillant au petit matin, dès l'aube ou vers 4h.
Comme si j'avais perdu du temps toutes ces années à traîner sur l'oreiller jusqu'au beau milieu de la matinée, je prends un plaisir à sortir du lit au premier rêve achevé. Rester dans une torpeur moelleuse, les idées neuves, le rituel du calme dans la plus douce des délicatesses et m'asseoir sous l’abat-jour avec Patrick Modiano dans sa "Chevreuse", ou rendre visite à sa « Petite bijou ».
C'est un peu moins vrai avec la musique. Un album en soirée est une guérison du quotidien, soigner les grandes heures de lumière, une remise à zéro plus ou moins profonde, l’accueil de mon huis clos pour une mise au point. Pourtant, ce matin, le livre entamé est resté fermé sur la table de salon. À peine 8h d'une journée à passer à la maison, j'ai écouté pour la deuxième fois le dernier album d'Hildur Gudnadottir que je scrute depuis des années quand elle frottait ses cordes graves sous les tuiles du label Touch. Je suis amoureux de son travail depuis « Without Sinkong », bouleversante ode à la grisaille des paysages calmes et désolés. Depuis quelques années, elle a pris l'habitude de travailler pour des cinéastes, beaucoup de BO dont « Chernobyl », « Joker », ses ondes sombres et lancinantes dans toutes les oreilles. Elle revient plus discrètement avec un travail pour elle, un album miraculeux enregistré chez Deutsche Grammophon, label de renom qui héberge depuis quelques temps les néo-classiques.
J'ai laissé le jour se lever derrière les stores encore fermés. Le cerveau lavé de tout, comme prêt pour une belle lecture d'un roman qui apaise le flux sanguin. J'ai écouté religieusement « Where to from », subjugué sans pouvoir bouger de mon fauteuil assombri par les ombres obliques de l’abat-jour. Il aurait pu être la BO du livre entamé depuis quelques jours, resté fermé tout près de moi sur la table de salon. Le son à mettre en lumière les arcanes d'un temps passé chers à Modiano. Je suis resté en écoute solennelle tout le long des chants et des jeux de cordes, tout était différent de la première écoute en soirée. Pris plus que d'ordinaire par l'entièreté de son art, plus que le besoin de détente du soir, j'ai compris beaucoup de choses. Il y aura désormais une sélection de disques somptueux à écouter le matin, après quelques chapitres d'un doux roman réservé pour les aubes légères, juste avant de sortir croiser quelques gens, ou pas.
Hildur Gudnadottir 2025 « Where to from »

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