Je crois bien n'avoir jamais chroniquer
un album de musique classique. Sûrement à cause de mon innéisme et mon vertige, ce
sentiment de virginité devant une œuvre séminale, le cerveau mis à
nu. Musique classique, pas uniquement finalement puisqu'une fois de
plus il s'agit du label sans frontière ECM. Autre transition à
Metheny, l'année de création de « Tabula Rasa », 1977.
1984, cette œuvre d'Arvo Pärt est
reprise par des orchestres, Stuttgart, Berlin, avec comme invité du
collectif, Keith Jarrett et Gidon Kremer. Classe certes, mais néo
aussi, puis post-moderne et contemporaine, plein de corde et un
nouveau vertige, je vais avancé suffoquant à travers ces éléments
successifs impressionnés.
Table rase sur les mots, mise à plat
des émotions, reset musical sur cet instant prestigieux.
Voilà exactement la traduction graphique de mes
sentiments quand je suis chez l’Edition of Contemporary Music. De
l’architecture certes, mais aussi du paysage, exigence des lignes et
contemplation des impressions. Des couleurs parfaites ocre jaune et bleu cobalt,
du jazz en fusion.
Le producteur est Manfred Eicher fondateur du label, la batterie toute en finesse est
assurée par Danny Gottlieb, la basse par Eberhard Weber, le piano par le fidèle
collaborateur Lyle Mays déjà présent sur ce deuxième album de Pat Metheny. Le
son Metheny est unique, pourtant ici quelques moreaux semblent dilués dans les
balbutiements d’une carrière faramineuse à venir. « Sea Song » plénitude des étendues, le bras au saphir se pose
sur les sillons du ressac. Discrète pièce délicieuse du catalogue ECM et de la
discographie prolifique du guitariste américain.
Une autre insomnie, des minutes qui s’égrainent sur le blanc
nuit et les silences. Les notes flottent et les arpèges voltigent, « White
night ».. une autre marche.
Max
Ananyev 2017 « The Way to the Ocean » label : preserved sound
Impossible de dormir. Je me lèverais
bien pour aller croquer cette Valériane que le gel a fatigué, là
au seuil de mon muret muet depuis des années. A croire qu'elle est
venue ici à l’encoignure de ma clôture pour me dire eh..je suis
là, tes insomnies sont finies. Elle est mignonne.
La glace s'est faite la mâle, mes
congénères ne dérivent plus en congères....pas sûr, aucun brise
glace à l'horizon, aucune lame pour les âmes, rien pour défricher
ce fouillis dinguelasse. La voûte se lève à peine, pas bonne mine
ce soleil de plomb, le saturnisme nous guette à boire ce ciel de
suie sans cesse. Il vient à peine faire suinter l'asphalte de sa
sueur fossile, le rimmel crasse des fins d'hiver.
Ils ont sali ma Valériane avec
leurs rues d'échappements, je vais me coucher quand même en pensant
à ses petites fleurs médicinales roses pour m'endormir. Il paraît
que son rose la rend fausse, je m'en fous, elle est là a filocher
mon éveil et le blanc lui de mes nuits rendent mes insomnies
incontestables. Je vais somnoler et compter jusqu'à centranthe... ma
Valériane....
.....mon lépidoptère norvégien, Giovanna Pessi, Ida Hidle, Tuva Syvertsen, Susanna que j'ai découvert en 2007 grâce à Rune Grammofon.
Susanna 2018 « Go Dig my Grave »
label : susannasonata
Plus de quoi faire une boule de neige,
les prochaines en rose de Gueldre blanchiront nos haies printanières.
Viburnum opulus, les belles ombelles de la viorne feindront un temps
de neige. Comme un miracle biologique, la symphonie des arbustes
donne l’attrait des jardins, une autre promenade dans le Pré
Catelan, ces belles allées au cœur d'Illiers ombray, « Du
côté de chez Swann », et l'âme des poètes s'y balade,
l'herbier de Marcel Proust.
Entre le blanc disparu et celui à
venir, je flâne dans ce jardin littéraire, des petites notes
magnifiques de Léo Ferré dans la tète. A défaut de Proust, c'est
Verlaine et Rimbaud qui viennent mettre en musique de ses chansons
bien douces l'errance d'un temps doux entre hiver et printemps.
A force de lâcher franchement les
nouveautés pop moderne, on va imaginer tout comme Dracula
s'adressant à Jugnot que « je ne t'aime plus Lepope ».
Il faut dire que ça foisonne pas mal de ce côté là, tout azimut
et je m'y perds un peu. J'ai trébuché sur Django Django, juste
avant de tombé en petite extase sur Rhye.
Une légère chair de poule comme elle
sur la pochette, (la même que sur « Woman » ?) a
parcouru le disque. Un thème, une musique vachement bien foutue pour
le corps. La voix de Milosh, comme un doux mélange Keren Ann et
Bardi (Lady & Bird), est à la hauteur du tempo sensuel et
mollement endiablé. Les idées sonores sont exquises et les notes
tombent comme le goutte à goutte des branches gelée qui se
réchauffent. La débâcle des enceintes. Perle de neige en eau
ensoleillée, ça coule merveilleusement bien.
Laissez vous envahir par « Phoenix »,
le contagieux, le toxique, le Daftpunkien, le sommet.
Rhye 2018 « Blood » label :
hostess entertainment unlimited
On
sert les dents, on sort les disques, un d'entre eux aura eu raison de
la boue quotidienne, petit remède à la merdasse qui colle aux grôles de
cette journée bien grasse.
Tout
se volatilise, la neige fond à vu d'œil. Un souffle chaud vient
annoncer le retour du soleil, c'est une nouveauté et pourtant ça sonne
Motown. Un album soul avec la belle particularité qu'il a été produit
par Danger Mouse. Et ça se sent que c'est lui, le même son de basse, de
batterie et d'orchestre que pour Rome avec Lippi.
Deuxième
album, des pochettes qui se suivent, c'est chez Anti- et la neige fond,
ou comment finir en beauté une journée dégueulasse.
Curtis Harding 2017 "Face Your Fears" label : ANTI-
Edith et Jean-Louis, la transition
parfaite à la fantaisie de Bashung. La sphère de Daho, Darc
Fontaine, Jacno et Thiéfaine. On pourrait appeler ça « au
service de.. » et pourtant à eux ils ont trois albums et des
demandes alentours.
Je ressors « Juke Box »
avec ce bleu blanc rouge et des mines de fâcherie qui va mettre fin
au duo. Fambuena et Pierrot, regardez leurs traces un peu partout, à
travers cette famille de piédestal.
« Juke Box » justement,
« Entre elle et moi ».. « Nos mères »... la
même production que nos nuits quand nous mentons. Et puis l'album
défile dans une harmonie imparable, simple, propre. Pas la place
qu'ils auraient méritée, une à eux exclusivement, pour cet album
surtout. Leurs empreintes sont ailleurs, éparses, marquées sans
pour autant qu'on le sache.. mais il y a aussi « Juke Box ».
Allez, bientôt le 14, pas de
fleuriste, ni bijouterie, un p'tit morceaux des Valentins.
Comment encore me placer sur cette
fantaisie ? Toujours à chaque écoute je monte sur mes grands chevaux
et traverse passionnément toute la surface hexagonale, à la
recherche de ce qui se fait de mieux. « Fantaisie
Militaire » s'est glissé sur un piédestal.
Torse immergé, les mains en cercueil,
le dormeur du val, mort ou vif. Un soldat sans joie au milieu du vert
kaki des lentilles. Squelette endormi, baies de balle rouge comme des
blessures visées, ensommeillées. Homme blessé, naissance des eaux
troubles, pâleur et corps flottant, Ophélie, Angora, « ..onde
calme et noire où dorment les étoiles ..» …
nénuphars célestes.
Avec Fauque deux ans d'écriture, un
débit de mots pour n'en synthétiser que quelques phrases, les mots
entre eux vont tant charger le noyau, cette matière noire vers où
tout va. Belleville et des après midi entières à cogiter, les
Valentins, une ferme en Sologne pour la mise en boite, Lamy, Mortier,
Lederman, puis le studio Antenna avec Lamoot, le Grand Nicolas et le
Duc de Guise pour la technique, le son, les machines et le Pro Tools,
avant le studio Nomis de Londres et Caple/Edwards/Baker. Le château
de Miraval. « Oncle Al » avec Racaille pour le
studio Davout, et le Pierce Entertainment à la Burger..... et je me
disperse dans le dédale technique et historique, mais je veux
savoir.
Un fils asthmatique, l'architecture
glaiseuse d'un couple, mensonges, séduction et héroïsme dans le
cercle d'un cirque, soldat perdu, Walhalla, la Belle aux bois dormant jusqu'en
2043, la liberté dans l'enfermement qu'on s'inflige, Yasmina,
Monica, les femmes sont la vie, ode à la féminité, des vies
privées et le grand air de « Dehors ». Un militaire qui
perd son sang froid, le commun des mortels à la limite du
supportable, Colin et Chloé écument les jours, soldats perdus, « Sais-tu que la musique s'est
tue – sais-tu qu'un salaud a bu – l'eau du nénuphar –
l'honneur tu l'as perdu – sur ce lit de bataille ».. et
que dire de « Mes prisons » ?..je ne respire
plus, ce disque reste toujours aussi suffoquant et beau.
C'est sûr, la nuit on ment.
« Effet de serre – ma vie
sous verre -s'avère ébréchée.... me poser sur la branche au
risque de me trouver à l'étroit... »
Je ne sais plus trop où me mettre, je
devine mon socle, je croyais « Bleu Pétrole »
au dessus, et « L'Imprudence » absolue...
je reviens sans cesse sur la « Fantaisie Militaire »
comme on dissèque sa carte génétique, fouille son arbre
généalogique, comme on finit par se recueillir sur notre irréel
définitif.
Le dormeur du val qui dort, c'est peut
être juste le disque littéraire qui restera au delà de pas mal de
choses, presque de tout ce que je pense. Après un long processus de création, des lieux et des rencontres, "Fantaisie Militaire" est là.
Palier à la sécheresse des tonnes de
phrases, se charger du silence et marcher. Nous faisons parti
intégrante de la nature, beaucoup plus qu'un simple légo d'un monde
sociétal. Nous avons perdu toute appréhension de la biologie, la
conscience du cosmos, le plaisir de s’arrêter quelques instants
devant un arbre. Marcher, le génie de la balade, régénérer nos
esprits en le plaçant exactement dans le paysage qui nous a fait.
Renouer avec l'élément, la liberté intellectuelle et morale.
Des errances de Henry D.Thoreau, aux
rêveries du promeneur solitaire de Rousseau, faire d'une marche un
projet de reconstruction mentale, s'enivrer des contemplations,
laisser la densité du silence imprégner nos tissus, sentir le calme
ravissant et chavirer aux choses ordinaires.
« … je quittai peu à peu ces
menues observations pour me livrer à l'impression non moins agréable
mais plus touchante que faisait sur moi l'ensemble de tout cela. »
Eau rousse, descente, montagne, une
excursion pour le cerveau avec BJ Nilsen. Je pars marcher pour
écouter dans le silence les bruits du paysage.
Je regarde Broderick et Frahm avec la
même curiosité. Comme une gémellité artistique du néo-classique,
leur carrières se longent. La même évolution.
Tout comme Broderick a développé un
son, Frahm n'est plus qu'un piano, cuivres, voix et ici beaucoup de
machine tendrement syncopées viennent étoffer son écriture. « All
Melody » est une œuvre complète, avec quand même des
interludes piano bien à lui avec ce son particulier du micro dans la
caisse.
Similitude de travaux, sous le même
toit, après Peter Broderick, Nils Frahm revient amplement. Le
mercure chute, des musiques de quoi se cloîtrer dans une chambre aux
vitres embuées, déguster cette musique de huis clos vaporeux.
Nils Frahm 2018 « All Melody »
label : erased tapes
On m'avait prévenu, fallait pas
prendre ce bateau, l'étroit pour le large exigu, le vaste rafiot de
l'oncle John. Pas tant le bois de la coque qui fait que ça tient sur
l'eau, mais sur quoi il flotte la nuit ce petit hémisphère de
coquille de noix. Tout sauf de l'eau, nappe pétrole de brou pour
glisser avec vers le fond, l'ongle jasmin coupé qui flotte aussi au
dessus de l'eau, comme lui et moi, John sur son bateau.
Capitaine de suie, à travers les huit
chansons, il n'a même pas vu que j'étais à bord, je crois qu'il ne
sait pas non plus où la poupe va. Peu importe, l'accordéon guide,
le Ukulélé aussi. J'ai mal à la carcasse, le vertige des
profondeurs fossiles, le poumon de l'accordéon pousse à perdre
haleine. Doucement vers le mur noir d'un huit clos océaniques,
j'avance au son des rames, je suis sur le navire petit de l'oncle
John et flotte au bruit des larmes.
J'ai beau visiter toutes les contrées
de Jay Munly, du Broncos Fight Song et du Slim Cessna's Auto Club,
rien ne me fera accoster et descendre du bateau de John, le tonton.
Ça flotte sur quoi ?? bière,
bourbon, vin... telle ou telle coque ??