Une semée de gouttes parfume la terre,
saupoudre la flaque mourante. Des airs de poussières passent comme
une tempête de sable de nos vieux chaumes grillés. Julos Beaucarne
chante chez moi et le vent qui se lève de l’autre côté de la
vitre n’impressionne plus personne. Le gris monte en altitude, le
ragréage du ciel pour les mois à venir. Il peut faire tous les
gris inimaginables, Julos chantera tant que les arbres fruitiers se
pommeront.
Les transats sont
rangés, le brave rouge-gorge est revenu, la bruyère fleurit, il n’y a
pas de pause pour les jardiniers.
Julos
Beaucarne 1974 « (Front De Libération Des Arbres Fruitiers)
Lessivées par l’orage, les graminées
dansent lourdement, abasourdies par le déluge, les grandes pluies
d’été. Elles dansent quand même, mollement, le jeune merle
sautille, le Pinson des arbres observe et les moineaux picorent. Doux
festin partagé. Puis l’étonnement des petits volatiles provient d’un
quartier de pomme jeté entre les trèfles et les pâquerettes.
Quelques coups de becs dans cette pulpe sucrée puis retour vers le
pain mouillé balancé lui aussi. Le ciel se couvre un peu.
Tout semble
respirer l’ordre des choses, c’est un bel instant matinal
pourtant déjà bien éloigné de l’aube. Plus encore du
crépuscule. Dustin O’Halloran s’installe parmi ce cours
ordinaire, son piano distille l’apaisement, il n’est pas
impossible qu’il ait lui aussi bu à plein poumon ces grands
parfums de foin à venir, l’haleine de cette marée d’herbes
sauvages.
« Silfur » chef d’orchestre
du jour.
Dustin O’Halloran 2021 « Silfur »
label : Deutsche Grammophon
Hyper rayonnant de classe, et ça
devient un petit peu une habitude chez lui. Absolument estival et ça
tombe bien, quelle autre bande son pour ces jours radieux,
caniculaires, « Rêve capital » longe le
mercure, épouse le ciel, danse avec le vent chaud. Le hamac tangue
de plaisir, je respire le son, solaire.
Adéquat, idéal, superbement déposé
sur le calendrier, l'échine en sueur, les épaules cuites, le pas
léger, cette petite crème délicieuse rend beau nos cerveaux
ankylosés, on flamme en se trouvant presque parfaits, des petites
allures d'homme idéal, on finirait bien par y croire.
60 ème pièces du catalogue Tricatel,
moi je dis que Katerine, Sébastien Tellier, Bon Entendeur et même
Julien Doré devraient y être hébergés.
Bertrand BURGALAT 2021 « Rêve
Capital » label : Tricatel
Permettez ma frilosité, mon recul, on
ne sort pas indemne d'un tel gadin. Tard ou tôt on paye nos abus de
confiance.
Suivant aveuglement les toits
artistiques, mes phares à moi, je suis tombé un jour à boire tout
Tôt-ou-Tard, sur un jeune nouveau, le premier album de Vianney.
C'est pas que j'ai un truc contre lui, tant mieux pour le label, mais
il me semble avoir été trahi.
J'aime toujours voir la lune sur la
tranche d'un album, on se refait pas, et puis il faut bien dire que
le streaming n'était pas très très répandu en 2014. Là pour le
coup, j'écoute Noé Preszow et je tombe sous le charme. En longeant
les bacs un midi par hasard, je tombe sur son support physique avec
sur la tranche donc, la lune emblématique. Il aura fallu un chemin
de croix, oublier ses douleurs, les préjugés, n'en faire qu'à sa
tète, faire le lien en oubliant les ondes, les réseaux, les
réactions, les tendances, oublier Saez, Gauvin qui sonnent chez Noé,
suivre cette route-là pour une petite heure, quitte à la
renouveler .
Noé Preszow tombe dans mes enceintes,
l'expérience tôt ou tard m'aura rendu dubitatif et prudent, pourtant je l'ai
acheté pour conjurer le sort, c'est toujours plus beau dans les
enceintes quand c'est beau. La plus belle nouveauté de par ici que
j'ai écouté depuis pas mal de temps.
Configuration inédite légèrement
complexe, il s'agit derrière ce nom digne d'un groupe de rock
progressif, d'une rencontre entre Christophe Vaillant, cerveau du
Superhomard hospitalier, et un chanteur Australien, Maxwell
Farrington donc. … Improbable ? Pas tant que ça, une
aubain pour sûr.
Lee Hazlewood à coup sûr, Married
Monk parfois, Richard Hawley, Divine Comedy ou Adam Green et
peut-être aussi John Grant.. sur nos courtes collines, posés sur
nos sobres horizons, un autre climat. Les harmonies caressent le
crooner chaleureuses comme le pôle nord (« North pole »).
Évidemment tant de références
pourraient alourdir « Once », mais les écoutes à
répétitions enchantent la soudaine éclaboussure solaire venue
effacer comme on essuie d'un revers de la manche la buée des vitres,
le triste mois de Mai passé.
En juin fais ce qu'il te plaît, mais
s'il te plaît, Maxwell Farrington & le Superhomard est à
écouter incontournablement. Symphoniquement country pop
intemporelle. Les monts roses comme la chair du sol mis à nu,
bleu-ciel sur la voûte, marée de chlorophylle enivrante .. des airs
à se balader à travers les ondulations de graminées.
Il fallait bien un tel disque pour
venir un peu titiller ces pages en dormance.
Maxwell Farrington & Le Superhomard
2021 « Once » label : talitres
Une myriade de petites paraboles
blanches et jaunes suivent de leurs capitules le tracé du soleil.
Les tètes se penchent comme une molle chorégraphie solaire. Elles
le fixent comme un gourou, l'une le cou plus haut, gourmande, fayotte
qui toise ses voisines avachies, celles qui veulent rester aux ras.
Quelques cardamines hirsutes droites et fermes viennent tenir tète à
toutes ces folles hypnotisées. Mais déjà, à quelques pas de là,
l'ombre d'avril avance et une à une, les collerettes de fleurs
blanches disciplinées se ferment sur un cœur jaune mimosa. Le
couvre-feu solaire des Astéracées. Quelques unes se sont
discrètement empourprées, le phare aux fleurs, des pâquerettes
s'encanaillent. Des touffes de Véroniques sont là aussi, minuscules
bout de ciel sur cet océan vert, discrètes avec les quatre petits
lobes célestes.
Je marche sur la pointe des pieds sur
mon lopin de pelouse, pointillisme blanc jaune et bleu sur tapis vert
coloré, faites vos jeux.
Sur la pointe des jambes, me faire
léger tant mal que mal.
De ma léthargie biologique, je garde
l'essence du vivant, de la poussière qui revit, comme du orange sur
un bleu de globe aigre-doux. Je me lève pour changer de disque, de
couleur. Pointillisme aussi en coulée, pareil à marcher sur la
pointe des pieds comme sur des œufs de fine surface oculaire, avant
d'en avoir derrière de la neige.
Double album en faux jumeaux tel « La
Fragilité » et « Toute Latitude », de belles
choses identiques à peine séparées. Bertrand, c'est définitivement
devenu récurent, cyclique, permanent et indispensable.
Bertrand BETSCH 2021 « Demande à
la poussière » « Orange Bleue Amère »
Des coins du monde inspirent, des
épicentres culturels injectent, Arman est allé chercher l'âme de
son troisième projet outre Atlantique au creux du Laurel Canyon. Son écriture n'est plus à
défendre, il n'est pourtant pas souvent dans les nominations, il
faudra un jour aussi à leur tour que des Dieux croient en nous.
Une belle viscosité mélancolique
dégouline de mes enceintes.. de l'espace, un autre ciel poétiquement désespéré, sombre aux
mélodies d'yeux de hiboux.
Plus je l'écoute au fil des ans, plus
je pense à David Eugene Edwards du Colorado et ses 16 Horsepower.
Des cavaleries de spleen sauvage s'abattent des hauteurs, la nuit va
être chouette. Une armée de prunus enivre la contrée, le vent fort
embarque sa poussière vitale. Cavalcade silencieuse des gamètes
dans l'air, les vastes complaintes d'Arman.
Une pluie de marée basse compose un
air visqueux sur la lourde terre détrempée. Aucun vent, le ciel
s'égoutte tranquille, haut et lourd, j'écoute le clapotis sourd et
moelleux sur les mottes brunes et c'est joli. Tout est calme et
nacré, pas moyen de s'abriter sous les arbres émondés, le dos calé
sur l'arrondi d'un château d'eau, je fais une pause histoire de plus
près voir ce ciel laiteux et engourdi qui postillonne, à moins
qu'il ne pleure. Pas encore l'ombre d'une obscénité
chlorophyllienne dans les branches, juste une idée que les ligneux
ont commencé à pomper, les herbes à sucer, alors la giboulée de
connivence vient asperger plus que de raison.
Les ravines sont pleines, les routes
flanquées de flaques, dedans elles pareil, les ocres et les cobalts
mous se sont fondus, des « miroirs dans la boue ». Et des
corbeaux sautillent sur la marmelade des champs jadis labourés.
Le tempo du bruit des gouttes
s’accélère, il semblerait bien que la marée monte, d'ailleurs
les cyprès commencent à danser.
Des tonnes d'eau stockées au dessus de
ma tète, ils sont beaux les châteaux d'eau de mes plaines comme des
clochers à sec. La voûte se charge aussi de la flotte vitale à
distribuer, le ciel cède à la danse folle des plantes assoiffées,
ça va usiner en haut en bas, je suis coincé au milieu de ce coït
biologique inondé. Les songeries à son comble je reluque et hume,
tandis que la sueur capillaire de mon fauteuil d'herbe me remonte le
long du dos, je termine la profonde écoute de « As Days Get
Dark », le nouvel abyme merveilleux des sombres écossais, et je reprends ma
route vers la vallée où les fables sont belles, au dessus à peine
de laquelle je dors quand le silence est total et que le noir vient
me caresser le cerveau.
Arab Strap 2021 « As Days Get
Dark » label : Rock Action
Les humains sur les plaines s’entassent comme des batons de
mikado. Sur les peines aussi. L’ère est au dépistage, elle, c’est
« Le chant des pistes », juste l’horizon à
peine ondulé, le monde entier. Dôme, collines, coteaux ou galbes à
pister quitte à suivre l’invisible.
« Caillou » est une toile
impressionniste, un minimalisme à reliefs, des ondulations pour une
osmose bucolique. Gisèle fixe les regards sur un son vital, des
parfums courbes et minéraux, une contemplation saphir.
J’arrive le long de mes plaines criblées de silex, Gisèle tape
mes tempes sourdement et j’entends Balibar, Arielle, Emily Loiseau
voire Breut avec la ligne sèche et vitale d’une fossette. « Peau
fine » comme une danse lacrymale à la Bertrand Betsch.
Aime-moi caillou, la mélancolie appelle aux lueurs, la lumière
nous suit, le long de la piste, au plus profond des étendues.
De sa musique elle a fait la bande-son de ses films expérimentaux,
elle est la mienne entêtante sur mon trajet qui va de la ville vers
mes plaines, « Ritournelles électroniques » et je
m'éloigne de la foule..j'arrive marcher à nouveau sur mes cailloux.
Field recording derrière ces rêveries intimes et poétiques. Des
émotions camouflées elle me bichonne, ma petite richesse du jour.
Un EP en 2016, un paquet de 1ère partie, voici son premier album.
Gisèle Pape 2020 « Caillou » label : Finalistes
/ Paule et Paule
Plaine délavée, fossés pleins, les
champs en marmelade, tout ruisselle, il n'en finit plus de pleuvoir.
Je fouille des vieux disques et je tombe sur quelques bijoux oubliés.
The Czars n'est plus, John Grant œuvre tout seul, en 2005 sur Bella
Union, comme un adieu, ils ont laissé sur la route une petite
douzaine de reprises, toutes à tomber. Cette collection débute avec
la plus belle des lumières, le traditionnel « Black is the
colour » Nina.
« For Emily » Paul Simon
… « You don't know wht love is »..et la pluie peut bien
tomber.
The Czars 2005 « Sorry I Made you
Cry » label : bella union
Déjà presque 15 ans « Ash
Wenesday », l'éblouissement folk 2006.
Cette autre cime d'Elvis Perkins en
plein creux de vague 2020 illumine nos angoisses. S'il y avait un
bilan annuel à proposer, le tiercé le lorgnerait. Je parle d'une
pop moderne, celle qui surtout ici conjugue le folk baroque, les
accords lumineux, le majestueux des harmonies, la country psyché
avec une voix de fond Lennon fils, des cuivres à s'envoler de la
croûte gelée pour se sécher les larmes aux ondes tièdes des
hauteurs bariolées, des ballades au piano plaintif, de l'intime
acoustique en petit country sophistiqué.. « The half
life », « Mrs & Mr E » Townes Van
zandt en duo avec Adam Green ..
Je veux bien un confinement de plus
s'il faut inlassablement se ravager les glandes avec des disques comme
celui-ci.
Malgré des priorités discutables, le
dérèglement des dispositifs de l'homme moderne qui oblige la
bureaucratie à faire des choix, l'anxiogène des ondes n'aura pas
empêché quelques petits joyaux de sortir et d'arriver à nos
oreilles... Celui-là en est un, « rescapé ».
« Ash Wenesday »
avait mis la puce à l'oreille, cet Elvis là est à lorgner.
« Creation Myths » depuis quelques jours
est le bouclier en boucle du gris compact des jours, mon pied-de-nez à ma télé pas allumée.
Doigts crochus et main d'arthroses,
comment fait Keith Richards pour jouer encore comme ça ? Le
pirate aux yeux malicieux, le cuir cuit comme un marin, ses doigts
courent encore sur le manche.
Ceux d'un autre Keith ne cavaleront
plus sur le clavier. La main de Jarrett démissionne, son corps ne
transmet plus les blanches et les noires au bout de ses doigts.
1968 son premier album, 1964 pour
Richards au sein des Stones.. mais depuis combien de temps
jouent-ils ?? les os et les vaisseaux s'usent comme les arbres
et les navires.
Keith Jarrett ne jouera plus devant
nous. En attendant, en 2016 il faisait à nouveau rêver, c'était à
Budapest. Le concert intégral sur ECM.