« Pauvre
Dave (Gilmour) - le genre truc de conscience que tu dois te trimbaler
toute ta vie... sur fond de solos bluesy ».. C'est pourtant
Barrett lui-même qui a appelé à la rescousse son ami d'enfance,
pour finir l'enregistrement de son premier album solo « The
madcap laughs ». Nous sommes en 1970, les premières chanson de
Syd au sein des Floyd avaient quelques années auparavant chamboulé
toute la planète. Malcolm Jones d'EMI s'est donc rué sur le projet
et a accepté illico la proposition de l'Elfe esseulé et délabré.
L'éphémère indélébile.
A
tripper pendant des semaines, à vouloir saccager le projet Floyd, et
à rendre chaque séance live un cauchemare, les trois autres ont
fini un dimanche de concert, par ne plus venir le chercher. Gilmour
tiendra la guitare à lui tout seul.
« The
madcap laughs » est un disque fantôme, un objet sublime
acidulé, beaucoup moins que ces premières compositions
bringuebalantes, psyché, totalement dépourvues de blues. Des
balades folk ici, poétiques, psyché-pop, guitares omniprésentes
avec des accords habités et un médiator pas farouche.
Au
départ il a convoqué les Soft Machine sans Kevin Ayers, le groupe
british psyché rival des Floyd, qui eux finissent tranquille de
mettre en boite « Ummagumma ». Mais les morceaux de
Barrett sont complexes et très personnels, les accords et la
métrique sont hyper difficiles, les temps changent suivant le chant.
Les gars torturés vont s'épuiser. Pourtant, l'atmosphère générale
du disque est au paisible, à la balade. Aucune règle, une écriture
d'humeur gourou. Même le chant est quelquefois déglingué, « If
is't in you » est un moment unique à peine croyable.
Barrett
de plus en plus exigeant va foutre tout le monde dehors. Il
disparaît, laisse tout en plan, il reviendra plus tard, avec Dave
Gilmour.
Ce
dernier nettoie toutes les bandes, balaye le Soft Machine, les deux
« frangins » jouent ensembles, comme pour guérir de
leurs tourments et culpabilités respectives. Syd lui, a retrouvé
son vieux compagnon, il se laisse guider et repars de plus belle dans
ses voyage défoncé au mandrax. Au final, un chef d'œuvre est né.
Ce
disque au parquet fraîchement repeint par lui est un ovni, un album
improbable, fantomatique, d'ailleurs, personne ne peut dire qui
joue.. Barrett, Gilmour, Waters venu en coup de vent au passage, les
Soft, Jerry Shirley des Humble Pie ?? Qu'a gardé Gilmour des bandes,
du son, quelle est sa part de jeu, lui qui finissait chaque chanson
devant un Barrett endormi avant la fin ?
Qui
était sa petite amie Iggy l'Esquimau derrière lui sur la pochette ?
Ce
disque est un mystère, un fantôme, la plus belle chanson de
l'histoire, son morceau absolu « Opel » qui fut pourtant
la première enregistrée pendant cette session, ne sera pas retenue
sur ce premier opus solo. « Opel »... le truc récurent
qu'on écoute en secret, en imaginant qu'elle n'existe pas, les jours
d'humeur guttural, de respiration stressée, d'haleine avinée, des
soirs de pleine lune recroquevillé derrière nos dents qui poussent.
Ça aurait pu être « Golden hair », mais « Opel »
m'embarque.. combien d'accords dans cette chanson ?
« The
madcap laughs » est une pièce témoin de cette époque où
quelques artistes calcinés faisaient frémir les cerveaux.. Roky
Erickson, Gene Clark... la liste de l'influence Barrett posée sur la
musique, serait aujourd'hui longue à dévoiler...le premier sur la
liste Marc Bolan.
Il
n'y aura plus qu'un seul album après celui-là, un concert et Syd
est rentré chez sa mère sans n'être jamais réapparu au grand
jour, jusqu'en 2006.
« Le
monstre rose se tord vers le monstre fluide en le happant au cou. Le
monstre fluide, comme il a l'habitude de le faire dans ces occasions,
enfonce tous ces ongles dans le dos de son conjoint, lacérant sa
chair en profondeur. Et un sang clair coule copieusement de long de
leur corps unique frémissant, un sang rose qui, tombé par terre,
coule et flue, et flue. » (« Contemplation »,
dernier chapitre du livre « Pink Floyd en rouge » de
Michèle Mari).
Merci à Pax pour la phrase intro et le déclic.
Syd
Barrett 1970 « The Madcap Laughs » label : EMI/Harvest