Bertrand Betsch m'a toujours fasciné à
garder une petite fraîcheur vocale pleine de sourire sourd en coin
pour chanter des choses les plus sombres, tristes à tomber. Il faut
dire avant tout que mon obédience générale n'est pas à la gaudriole.
Je revenais à Superflu 1997 en parlant
de Fontaine Wallace, aussi, à chaque nouvel album du poète
mélancolique BB, je fais toujours "la soupe à la grimace" dans un
bonheur désespéré. 1997 aussi pour ce premier album, épique,
culte, cellulaire et bouleversant. Ce n'était pas le label Village
vert, mais Lithium, ça « Remué ».
C'est un sacré compagnon de route, sa
discographie ne lâche en rien, ni personne, surtout pas moi. Ses productions s'accélèrent, depuis 2011 il est là tous les ans. Boite
à rythme et petit clavier sont ici, fidèles, sa politique
chansonnière bien vissée sur sa voix familière et tremblante.
« Tout doux », mon cul, rien ne décélère,
tout reste collé à la moiteur cendrée avec la même force,
comptines pop, berceuses sombres, c'est le 12 ième album de Bertrand
Betsh.
Bertrand Betsch 2018 « Tout
Doux » label : microculture
Yvan Marc est un artiste de par ici
dans la plus douce des discrétions malgré ses cinq albums. Sur mes
étagères, il est rangé parmi les auteurs importants de par chez
nous. Ce disque plus encore est extrêmement lumineux, « Nos
Dimanches » est de très haute tenue. Ciselées les
mélodies, attachantes les paroles, la grande maturité du chanteur
qui aime les bois et la forêt se pose bien haut sur les grands opus
hexagonaux de cette année. Quelle est importante cette forêt.
Adossé au creux d'un houppier de
hêtre, je laisse les mots d'Yvan Marc me conter les secondes du
paisible printemps, comme appuyé au mur d'un château en ruine à
siffloter l'onde fraîche des marronniers des douves fleuries.
Vite, que le printemps chante avant la
première pluie d'été. Vincent Baguian pas loin, Thierry Stremler,
Frank Monnet, Alexandre Varlet, Bastien Lallemant.... Yvan Marc est de
ceux là.
Yvan Marc 2018 "Nos Dimanches" label : label diff43
Nous n'avons aucune mémoire des
paysages naturels originels, de l'horizon sans nous. Il suffit de
pénétrer dans une parcelle de réserve forestière intégrale pour
que notre cerveau soit plaqué d'une vision inédite. Troublant
dépaysement. Huit cent ans sans aucune intervention humaine et par
terre des restes de troncs d'arbres morts se consument lentement, se
dégradent sous le lent travail des lichens, mousses, moisissures et
insectes. Se passer de nous.
Elle est belle, majestueuse et
suffocante cette étendue vierge tout près de Barbizon, là où les
peintres sortaient leur chevalets en plein air, les artistes amoureux
de la nature.
Il fut un temps où s''aventurer dans
une forêt n'était pas sans danger, on ne foulait pas les fougères
sans but ni obligation, sans risquer sa vie. Elles sont devenue
absolument accessibles, avec pour seul risque les tiques. Le
domaniale contrôlé est devenu squelettique, l'humus forestier
s’appauvrit, va falloir qu'on s'affale un peu plus sur nos
crâneries vaines pour que nos consciences réalisent et sentent un
de ces jours.
Tout est dans nos paumes, il suffit de
le vouloir, paumés nous avons tout entre nos mains. Et le son d'un
piano résonne au beau milieu d'une forêt sans age.
Jean-Michel Blais 2018 « Dans ma
Main » label : arts & crafts
« Et puis après on verra
bien ».. un disque pour voir, des potes étudiants, un
ingénieur et un prof qui montent un groupe à Lille, après on verra
bien. Sauf que cet album là, c'est le premier de Superflu en 1997,
il y a plus de 20 ans, c'était sur le label Le Village Vert, et
qu'il est parmi la belle poignée poignante des très beaux albums de
par ici, et au beau milieu de ma collection des disques qui me
touchent particulièrement. C'est pas n'importe quel disque celui-là.
Dix après, 2007, c'est le troisième
album de Superflu qui met fin au groupe, impossible de ne pas parler
de ce passé là, à l'écoute de la voix de Fontaine Wallace, tout
me revient et m'enchante à nouveau.
Nicolas Falez, c'est la voix, la
guitare, les textes, le seul qui reste ici de la chaleur ultra intime
des chansons, du timbre et des adorables petites histoire montées
autour d'un minimalisme pop à la française du Superflu. Il y a eu
« Tchin Tchin » entre les deux, belle confirmation avec
dans les bonus, la merveilleuse reprise de Sheller, « Les
miroirs dans la boue ».
Pop, ça l'est un peu plus ici sur son
nouveau groupe, comme une touche british sur des chansons
parisiennes. Mister Wallace est l'anglais qui offrit les fontaines à
Paris.
La magie de superflu était aussi le
duo de voix, Sonia Bricourt à l'époque. La magie opère toujours,
mais c'est Cécile Beguery qui en plus de la basse vient accompagner
le chant de Falez. Le batteur Ludovic Morillon a joué pour Luke,
Prohibition et Nlf3. Fabrice De Battista tient les claviers.
La voix de Falez me rappelle à tout
ça. On ne va pas se priver d'écouter des vieux albums
incontournables. Ceci dit, Fontaine Wallace est comme un grand
retour, et une excellente nouveauté.
Pardon, milles pardons, comment est-il
possible d'être aussi con. Pardon T, excuses-moi Tman la toorsch tu
l'avais dit, je me souviens, tu me l'as redit et j'ai laissé mes
pensées téfals glisser sur ce disque fatal à tel point que je me
demande si un jour je l'ai écouté. J'en chiale à passer ce disque
en boucle. Même « Crocodail », le truc qui
m'aurait un poil rebuté il y a quelques temps, quelques mois encore,
m'enchante... tout dégringole magnifiquement vers « J'aime ».
Je garde le crocodile d'ail et je fonds
littéralement sur tout l'album... « Ici, c'est l'enfer ».
Je repasse ça indéfiniment, je ressasse et prend, je retourne à
« Halloween », je descends à « Amor
Doloroso », je me perds et je prends tout.
Particulièrement sublimes, les
mélodies m'ont chopées, le son, les arrangements, le Jako quel
salaud, hein mon T ?? il savait que les résistants ne
résisteraient pas bien longtemps lorsqu'il allait se diluer, pied de
nez malin d'un poète fou.. venu de l'au-delà d'un seul coup. J'ai
des étoiles lumineuses au plafond, ma prison mentale s'ébranle …
T, tu me l'avais dit... et toutes ces atolls qui nous attendent, des
vahinés pour après.
Pas grave, quand on est con on est
con.. et si le temps n'arrange rien à l'affaire, je me dis que
dorénavant j'ai ce disque dans mon cœur, un truc qui resurgit, se
révèle et se grave.
Il était là, à portée de rêve, à
deux doigts d'oiseau de s'envoler vers toujours cet « Amor
Doloroso ». Higelin est venu souffler sa rigolade avec
son œil « 75 » que je connais par cœur et
sa voix qui résonne.... « merde bonhomme t'as loupé ça
quand même, t'es un peu con mon gars, vas-y écoute je te vois et je
sais ce que tu aimes, et je t'assure ici c'était l'enfer ».
De passage à Chilly
Mazarin, une fraîche connaissance le temps de prendre quelques
affaires prévues, me sert un café dans son antre du deuxième étage
d'un immeuble blanc et envoie sur son enceinte connectée à son
téléphone, le dernier Chilly Gonzales.
De prime abord j'ai pensé
à une vanne, un gros truc gras « eh oh, t'as vu j'chuis un
ouf moi », puis je me suis dit que peut-être il se foutait
de ma gueule, comme ça, pour me tester vu qu'il s'agissait là d'une
deuxième succincte rencontre et que la première fois, les débats
musicaux ont fusé à gorge déployée en groupe, avec lui au devant
de la scène.
Bon, se gausser de moi
n'a rien pour me froisser, au contraire, mais c'est mieux de gérer
le soufflet histoire d’appréhender pour décontracter, détendre,
fighter gentiment, voire transformer la suspicion en gausserie
générale. Je suis resté un moment dubitatif, partagé tout en
gardant une oreille sur le pianiste que j'ai déjà négligé maintes
fois.
C'est pas trop ma came
Gonzales, ou plutôt très partagé, je suis pas réceptif à son
côté technique et sportif du piano avec bandeau de tennisman visé
sur le front, même quand il joue délicatement comme Tiersen. Manque
d'âme contrairement à Tiersen.
« Merci c'est
gentil, je veux bien ». Il me ressert un café, le Chilly
bien accroché à son suppo blue tooth. Si le mec fait des private
jokes à passer des petites BO du moment pour faire genre et étaler
la mise en ambiance adéquat associative, j'aurai préféré
« Couleur Café ». J'ai même senti la bouffe
comme un cabot qui bave à l'heure où le coup de chaud est général
dans les rades, une arrière odeur de viande rouge pimentée et de
haricots rouges mijotés, « aribaribariba.. ». Merde,
Gonzales à Mazarin, le deuxième café est dégueulasse, il me prend
pour un coyote ou bien... je suis peut être dans un cauchemar,
muselé, sans pouvoir trancher.
Pis c'est chiant aussi
ces musiques enfermées dans un téléphone, impossible de zyeuter
les étagères pour voir en voyeur l'état de la discothèque de
l'hospitalier. C'est un truc que j'adorais faire ça, avant, scruter
les disques alignés chez n'importe qui. Là, rien.
J'adore le label No
Format !, à tel point que je m'interroge sur la présence du
pianiste sous ce toit là. Un passage chez Deutsch Grammophon, puis
Gentle Threat que je ne connais pas.
Le mec revient, me donne
la clé USB avec les démos promises, un groupe à lui qu'il a monté
et qu'il veut déployer avec l'avis de tout l'alentour suite au débat
musicale de l'autre soir...... Son visage n'a aucune malice, rien ne
transparaît, ne transpire, je pense que je vais me réveiller, le
Gonzales sonne pas mal bizarrement, je connais cet air, comme une
reprise... des reprises.. il va me gonfler une nouvelle fois ce
disque.. si je le réécoute. Peut-être est-il dans la clé USB.. le
salaud... Je desserre les mandibules, « Merci c'est cool, je
suis un privilégié d'écouter tes démos, on se voit très vite, je
te dit si j'aime. A plus.. et ça sent super bon chez toi.. tu
prépares un Chili Con Carne ?? »
Des jours entiers à me promener, dans
mon hameau de jeunesse, je n'ai fait que errer, tout seul la plupart
du temps. Je passais les cinq croisements de cette rue principale
chevauchant mon petit vélo bricolé passe partout. La rue des cinq
croix de par chez moi, je ne me suis jamais demandé s'il s'agissait
d'une autre histoire que cet alignement de carrefours. Peut-être un
vieux mythe religieux a laissé ce nom à ma grande rue interminable
quand j'avais 10 ans. Au bout du monde j'allais quand il s'agissait
de s'enfouir au creux du bois des cinq croix, après avoir passé la
belle marre sauvage et le grand verger qui jouxtait la voie ferrée
Lucé/Illiers-Combray, avec ses belles petites michelines qui
fendaient la Beauce de son rouge coccinelle.
Toutes des journées habitées de
promenades, jusqu'au grand château au pied duquel j'allais poser ma
bécane pour une pause fraîche sous les tilleuls. Ce château était
celui de l'eau, nos beaux phares des grands horizons beaucerons,
ceux qui attirent les tracteurs à la grande marée et la nuée de
corbeaux derrière à bouffer les lombrics. Le château d'eau de mon
hameau sans altitude était à l'opposé géographique du bois, le
point culminant des haltes de mes grandes aventures de minot.
Quand je rentrais, de ma chambre à
l'étage de la maison, j'ouvrais ma fenêtre sur ce beau village
Fontenay-sur-Eure à quelques encablures, qui plongeait sur la
rivière, mon berceau, l'Eure. Combien d'heures de contemplation sans
bouger, le temps qui se figeait fatigué par mon périple de l'après
midi. J'allumais mon Grundig, sortait une galette noire à la belle
pochette et je mettais un vinyle, histoire de finir cette pâmoison
panoramique pré-adolescente en musique.
C'était une époque où une chanson
pouvait rendre heureux, un air, un texte, du populaire qui chantait
sous toutes les coutures et surtout qui embellissait nos radios.
La liste est longue, j'écoutais beaucoup les ondes à l'époque.
Des chansons qui me soignaient quand je
rentrais dans ma chambre à l'étage à regarder par la grande
fenêtre ouverte sur la campagne et qui plongeait sur l'Eure, vers
Fontenay. J'écoutais beaucoup Branduardi, Yves Simon, Maurice Fanon bien loin des gars du quartier qui m'auraient sûrement charrié
pour ça. Je mentais sur mon sac US, il n'était pas inscrit au
feutre noir Branduardi, ni Yves Simon. Évidemment j' étais un
cancre, on ne se ballade pas comme ça des heures sans laisser de côté
les choses que l'on doit faire. La tète en partance pas loin vers
les choses simples et vitales inconsciemment. J'écoute Brandu et
c'est tout ça qui resurgit à chaque fois, ce temps qui s’arrête,
une chanson qui injecte quelque-chose de bon et rassurant, des
moments insoucieux, le cours ordinaire qui passe.
Comme je me retrouvais seul presque tout
le temps et quasiment volontairement, je balançais tout dans les
chimères, les utopies, et je refaisais le monde dans mon coin. Il
était vachement bien ce monde là avec ces chansons qui embellissent
le quotidien, et enflamment la réserve d'une journée toute chargée
de rien, des rêves et des espoirs.
« A la Foire de l'Est »
est le troisième album de Branduardi à écouter en français ou
italien, conteur et poète unique. Tant de belles chansons dans sa
discographie, « Le don du cerf » ici, celle qui
chante les souvenirs d'un gamin qui errait.... chanson pour embellir
la vie.
Angelo Branduardi 1976 « A la
Foire de l'Est » label : polydor
Damien Jurado est un pilier du label
secretly Canadian, le tenancier dorénavant. C'est une transition
attendue avec Jason Molina qui n'en finit pas de hanter nos platines,
lui aussi hébergé par ce label important de Bloomington, lui et ses
travaux parallèles, Songs:Ohia, Magnolia Electric Co et autres
collaborations.
La carrière de Molina s'est arrêtée
nette en 2013, pas le temps de devenir un autre pilier.
Jurado, c'est son passage chez Secretly
qui m'a ouvert la voix, « Omaha » Lo-Fi bouleversant qui
sent bon la croûte terrestre. C'était en 2003 sur « Where
Shall you Take me ? ». La suite est une longue et belle
fidélité.
L'effet Jurado c'est un peu comme
l'impression Tindersticks ou Lambchop, Staples et Wagner dans la voix
particulière et familière, et ce magnifique mariage du folk et de la soul dans
leurs plus belles discrétions. Acoustique chaloupé.
Il aime les étendues de ses contrées,
il le raconte habité, transmettant toute l'émotion épidermique
d'un amoureux des terres, cartes postales sonores, doux moments de
recueillements.
Damien Jurado 2018 « The Horizon
Just Laughed » label : secretly canadian
Sortie d'outre tombe, le flamenco
macabre de Jason Molina pleure sur un Ep perdu dans les ténèbres.
Aussi sombre que « Ghost Tropic »,
« Travels in Constants » commence comme le
finish de « Oh well ». Seul comme jamais cette
pièce unique de Songs:Ohia arrache les tripes. Blues mortifère,
folk slow core qui prend à la gorge, il faut attendre le crépuscule
pour se laisser dévorrer par ces deux morceaux … ne pas lâcher
l'idée du noir.
C'est un album posthume, il y a peu de
temps ce grand artiste néoclassique islandais a pris le large.
« Englabörn » est son premier album, sorti en 2002, il
commençait à travailler sur sa réédition. Quelques proches
artistes de son entourage sont venu créer des variations autour de
cette somptueuse pièce d'une discographie dorénavant close.
Il est des meilleurs dans ce domaine,
le néo-classique que Deutsche Grammophon a décidé récemment de
mettre en valeur, comme le bouleversant « Orphée » en
2016. Il a composé beaucoup de musiques originales pour le cinéma, c'est un style
parfait pour le 7ème art. Ici revient le bleu absolu de la grande
étendue océanique que son âme surplombe. « Englabörn »,
indispensable disque de musique classique.
Johann Johannsson 2002/2018 « Englabörn
& variations »