Les accords floconnent, lancinants,
réguliers, doucement, comme quand il neige, un gimmick de cordes
ouatées, chute lente d'écho en couches de chants en charpie de voix
troubles superposées, et le rideau de tulle épais s'abat d'une
lenteur. Chaque note est chargée d'eau glacée, chaque battement de
cœur est figé par le son acouphène du drapé qui s'abat.
La vitre est givrée, « aimer
c'est être aimé », le cœur en chair armée a beau bâtir
des cloisons scellées, la vanité et les saisons viennent enduire la
texture des sentiments. Et si l'émotion véritable n'étais qu'un
grand gouffre marin ?
« Et quand passe la neige en
tourbillonnant ».. le ronronnement se fait attendre, « chat
noir suppliant.. que l'espoir laisse au printemps chanter la
grive en tourbillonnant »... L'hiver se traine,il y a quelques jours je ne
supportais plus, je me console avec « Toboggan ». « Le
froid de l'hiver est cruel ».. comment savait-il qu'il allait
nous cuir l'épiderme jusqu'à la gerçure cérébrale.
La biologie, la vie, la Belle... ma
Belle... entraperçue au détour d'un chemin longeant la ferme
vivante d'une basse court et d'un clapier mordoré. « Belle »
et cette note légère en boucle qui dessine sur un visage la beauté
que l'on imagine devant un alignement mégalithique.
La nuit, la nature se dirige
vers le ventre des mères, devant les tanières, apprend à
s'orienter au beau milieu des marais humaines. Des cristaux attaquent
l'œil en scintillements de glaciers lointains.
Chaque album de Jean-Louis Murat est
une teinte dans la fêlure, la lueur et la lumière. Si l'on a
l'impression que rien ne bouge, c'est ne plus imaginer que la neige
légitime peut dicter la mélancolie au forsythia qui lutte. La chandeleur
est une étape lumineuse que le flocon ignore, bien fait pour nous,
mathyr capitaliste.
Et les cuivres graves au loin sonnent
l'alali comme on entonne un chant sombre des horizons carbones, juste
piqués de quelques flèches éphémères séculaires.
Des cordes douces pour l'âme, des jeux
de voix pour l'amour, des cuivres arrière plan pour le contraste, et
le clavier nébuleux de Slim Batteux pour le ciel.
On a pas idée comment l'on glisse sur
la poésie, on a beau nous prévenir sur le dérèglement du ciel,
nous dire que le vrai poète se faufile dans les collines en VTT, que
le chemin des poneys peux se poudrer, que les Mont d'Or se blanchissent
comme nos tempes. C'est pas pour autant qu'il faut se morfondre comme
je le fais dès que la froidure s'abat sur mes tempes.
« Toboggan » vient comme un
pote de toujours pour me dire, me chuchoter que la boue froide des
lopins de nos âmes est une virée dominicale emmitouflée et
encapuchonnée jusqu'au cœur.
Extrême solitude, l'envie de garder la
terre collée aux crampons tout en pensant au cœur de cette fille au
vent sec, à l'odeur du bois coupé, cette poule d'eau frileuse.
Une nouvelle introspection qu'il faut
garder précieusement..je veux des couleurs immortelles...
Orion résiste, et semble vouloir
rester devant cette acharnement à nous saupoudrer la chevelure. Je
n'implore plus le ciel, Murat chante l'hiver.
Son dernier album est un nouveau régal,
hivernal, intime et lent, pas de batterie, ni de basses, juste la
terre et le vent de collines, des angoisses comme un leitmotiv..que du
jeu, des nuances et des teintes, quelques accords de guitares
engourdis, un piano calfeutré, et des cuivres tellement papier
peint qu'on oublie qu'ils sont là pour nous mijoter le bulbe.
Qui est près pour la culbute ?
Je suis planté dans le 19 ème siècle,
impressionnistes littéraires et d'huiles, et le troubadour qui pense
que l'amour est fait pour les héros happe ma nostalgie, et comme il
faut rompre avec les contraintes, on s'isole, on regarde le froid
mordre et le sucre glace voltiger. Murat est le seul.
Peut on encore fumer une clope, mettre
la main au cul d'une fille, pisser dans la rue, l'asepsie est une
tendance, le plat un appas. Tellement d'artistes sucent le rond rond
et boivent l'eau tiède.. Murat est le seul, juste dans la langue, la
note et l'invitation terreuse et vitale. La profondeur.
Laisser dans l'ombre, attendre en
espérant desjours meilleurs .. déconfiture,
détripotage.......débâcle extrasensorielle.
Jean Louis Murat 2013 « Toboggan »
label : PIAS/scarlett