Je me suis retrouvé dehors comme pour
fuir la maison trop calme. Un brouhaha taiseux m'envahissait le crane
m’expulsant d'un huit clos trop pesant.
Mon village hors saison n'avait
pourtant rien pour calmer ma panique sourde. J'ai erré dans la
ouateur tiède d'un gris qui picore les paupières. Il a beau être
loin des circuits touristiques, le village a des allures
apocalyptique. Mais une apocalypse détendue, le genre d’événement
qui permettrait de rayer de la carte toute pollution industrielle,
humaine, une fraîcheur subite totalement improbable. D'autant plus
qu'aucun tremblement ni explosion n'a précédé cette douce mélasse
dérivante.
Rue de la Herse, personne, rue du Croc
salé pas âme qui vive, je vais prendre la rue Raide pour voir si le
gris se dissipe, voir si le haut de ma tour se dévoile une fois
avant la tombée de la nuit.
Vide la rue de la poulaillerie, il y a
pourtant un boulanger dans cette étroite ruelle que les pompes
funèbres accueille.
Je suis perdu sur mon pays, j'ai besoin
d'un son de quelque chose qui me guide, de pas d'ici, de pas très
jeune, un truc un peu nouveau quand même, un truc pas dégueulasse.
Une envie de me faire alpaguer par un grand connaisseur pour que je
puisse me laisser emmener vers les fonds grouillants et séminaux.
Je descends la rue du Marché au Blé,
je me dirige vers le Fief des Marmousets, vers ces poutres du bois
qui a pompé toute l'histoire de ce coin là, le bois du pied de la
flèche et de ma tour qui commence à se perdre mangée par le ciel
lourdingue.
Le 16ème siècle est devant moi, le
bois reste muet, rien à part quelques petites notes de musiques au
loin. Le seul son qui sourde de ces rues désertes, je m'avance, je
hume le parfum.. voilà c'est ça, c'est ce son là celui qui happe
mon inconscient depuis tout à l'heure.. pas un bruit alentours, que
ces notes de piano comme un film, je rêve peut être d'une liaison
dangereuse, d'une rencontre folle.
C'est sûr un fou de jazz habite là,
un mec qui passe des vinyles à longueur de journée. Mélodies
imparables..
J'aimerais bien être le gars qui monte
les escaliers happé par la musique, frapper à la porte, et tomber
sur deux malades de jazz qui écoute un vinyle rare de Thelonious
Monk, ce disque-ci qui m'a attiré jusque là. Les écouter refaire
le monde et y être invité quelques instants en sirotant un pastis
glacé, devant les yeux vagues et les seins nus de la fille qui
tricote sur le lit. C'est sûrement Nelie son prénom. Une vieille
mansarde, des disques et des potes.
Je vais pas refaire le chemin à
l'envers, je ne suis pas loin de mes pénates. La nuit est tombée
une heure plus tôt, j'aime pas cette entourloupe d'automne, ce glas
pour l'hiver. Je vais rompre le silence de mes murs et écouter
ravagé par le spleen d'un village qui se meure, un vieux Thelonious
ressurgi des bandes des sessions pour la BO du film qui ne gardera
que les notes d'Art Blakey. Jazz, libertinage, cinéma, Thelonious à
torde les restes d'un dimanche langoureux.. dehors tout dort.
Thelonious Monk 2017 / 1960 « Les
Liaisons Dangereuses »
label : sam records / saga / zev
feldman
3 commentaires:
La tour, le retour. Quand l'automne glisse vers l'hiver. Thelonious Moine brasse dans les enceintes.
Yep T, tu crois pas si bien dire, me suis tapé une St Feuillien en rentrant pour déguster ce Monk.
Superbe!! Je parle de la promenade dans ton village
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