Jadis je me sapais de ma plus belle
mélancolie et j'allais rejoindre la devanture la plus proche qui proposait le nouveau Manset. Peu importait le contenu, un nouveau
Manset, s'il vous plaît.
De mes plus belles armures en habit
fier, déterminé j'allais m'enquérir de l’œuvre, de la Matrice
histoire de Revivre toujours un peu plus, d'un billet pour Manitoba
ou Obok, plonger dans la vallée de la paix, le Siam en Crabe,
prisonnier de la lumière, j'allais fuir mon réel.
Naguère je partait en guerre pour
avoir l'objet solennel, ça avait de la gueule. Rien n'aurait pu m'en
dissuader, c'était comme ça, aucune hésitation possible pour mon rendez-vous,
aucune raison à mon crane ne pouvait me barrer la route. Un mythe au
bout du chemin se dessinait. Ferré je m'y rendais.
J'ai enfilé ce matin la parure de ma
plus belle brumaille et je suis allé recueillir le nouveau Manset.
Quoiqu’il arrive..rien que le geste.. quoiqu'il y ait dedans, rien
que pour l'idée.
En couple les oiseaux, ça sautille sec
sur la parcelle fraîchement fauchée.
J'ai toujours eu horreur des couples
qui vont faire leurs courses ensembles..papa conduit la charrette et
manman la charge pour toute la famille. Des fois y'a les gosses avec,
cette corvée immonde d’auto tamponneuse au milieu des rayons
surchargés m’affligent. Papa coche sur la liste tout en gueulant
sur ses rejetons qui réclament. Manman énervée elle aussi, prends
les produits rayés de la liste et les entassent dans la charrette
avant de passer à l'autre rayon. Y'a pas un code de la route comme
sur leur parking dans ces hangars hagards... « lost in the
supermaket » disait l'autre. Les mêmes produits, aux mêmes
endroits avec des codes partout.
Là c'est pas pareil. Les oisillons
attendent au creux du nid frais, de douces brindilles et de la mousse
encore verte. Il ne faut pas perdre de temps, œufs à découvert ou
petits sans plumes affamés à la merci d'une rafale de vent ou d'un
prédateur belliqueux. Tous les deux sautilles et s'échangent qq
brins d'herbe, un petit lombric arraché d'un coup sec à la terre
molle, entre deux rosettes de pâquerette. Je ne fauche qu'à
quelques endroits, une parcelle pour se poser et quelques
acheminements pour accéder. Le reste est mon laboratoire, je laisse,
guette et observe.. tout y renaît, tout grouille, un monde jaillit
calmement. Ces deux là sautillent, petite becquée, partage du
butin, bisous de bec avant un retour vif d'entre mes cyprès sombres.
Sur ma droite, contre le mur en pierre,
un névé de pétales blanches s'est formé depuis qu'il ne pleut
plus et que le vent fait des siennes. Mon cerisier semble se foutre
de la gueule de l'hiver, la guigne a eu ses flocons. Un filé d'eau
arrive jusqu'à mes pieds, la dernière averse n'a pas était tendre
avec les pollens.
Le ciel se couvre encore, il va falloir
rentrer et laisser ces couples à plumes faire le plein avant la
nuit. Moi mon frigo m'attend et mes livres à une brassée de ma
couette.
Dans mon huis clos, j'ai une petite
caisse en bois qui me serre de charrette à courses pour ma musique.
Tout est aligné à l'étage et mes enceintes sont en bas. Je ballote
mes disques dans cette boite en balsa, légère et belle. C'est un
coffre joyeux d'abondance qui peut se la péter de véhiculer de
belles choses. Elle peut contenir une vingtaine de CD, ça se
bouscule souvent, le choix pour une journée. Elle est belle ma boite
en balsa qui chante, elle est un rêve et dedans tous ces artistes
qui se bousculent, ma boite à musique manivelle, mon limonaire
portatif. Aucune règle, pas la peine de faire la queue, il y en a
même qui ne passeront pas, ceux que j'ai pu écouter en boucle il y
à quelques saisons. J'ai dans l'idée d'aller faire mes courses
là-haut et d'aller prendre ce Manic qui vient d'être réédité. Je
me souviens de cet opus introuvable dans l'hexagone, disponible à
Londres et qu'un pote m'avait ramené, il avait fait les courses pour
moi. « Know your enemy » avait pourtant
fait ses preuves sur la planète en 2001. Le deuxième CD est
hallucinant de bonus, pareil à « Know your enemy »
Deluxe paru en 2022.
Coïncidence, je suis sur le doc Simple
Minds. Glasgow ou Cardiff, Jim ou James Dean. Pourquoi les
écossais me laissent de marbre, pourquoi les gallois m'enflamment ?
« Lifeblodd » très classe avec un son puissant, moins
saturé que son précédent.
Le couple d'oiseaux est rentré, je
vais aller seul à l'étage, avec mon caddy en bois léger et sans
roue. Outre le fait de ne pas piffer les couples en supermarché qui
poirotent devant la caisse au tapis roulant en caoutchouc noir
dégueulasse avec chacun sa charrette toute chargée de boites et de
broc, je suis le seul à savoir où les ingrédients sont rangés
pour une recette galloise hyper sonique aux mélodies british
tranchées d'une haute voix pop, basse qui tape et guitares
volumineuses. J'adore les Manic, post chef d’œuvre cet album est
majeur.
Manic Street Preacher 2004
« Lifeblood » / 2024 Deluxe 3CD sur Sony
J'ai pris un Thoreau par les cornes et
j'ai vu le kayak qui comme un avion s'enlise dans cette grande
partance toute chargée d'aventures au long court.
Moi-même je voulais sortir ce tantôt,
puis au dessus de ma tète ce grand ciel triste à sec, comme une âme
fatiguée d'avoir trop pleuré. Ce chagrin fou depuis des lunes
invisibles et même l'année dernière à essorer les paupières de
ce bougre plafond enlisé dans sa déprime.
Il fallait s'y attendre, au bout d'un
moment les larmes sont à sec. Et pourtant la complainte est
toujours au fond des glandes. La voûte tente de se régénérer,
rétention des eaux, elle a une sale gueule quand même et je vais
rester dans mes pénates. Je fuis la menace asséchée.
Du coup l'eau vient d'en bas et nos
sols sont un giscle. Le pas mou, je ne sais plus où aller, alors
comme d'autres matent l'eau, je décide de me suspendre ente deux
eaux. Canapé, télécommande et bouquin. Au sec. Quoique. Je pagaie
et rame, où vais-je ?
Juste avant de me décider entre
plonger dans les « Sept jours sur un fleuve »
de Henry David Thoreau, ou me remettre une énième fois « Comme
un avion » de Bruno Podalydès, j 'écoute ma
découverte du moment Matt Low. J'ai dû me perdre dans les méandres
des artistes de par ici pour ne jamais avoir entendu parler de ce
Matthieu là. D'autant plus qu'il a côtoyé à l 'époque le
Murat de Babel (paroles de « Vert pomme »).
« Caillou » dans ses chansons lui aussi.
La télécommande figée, une nouvelle fois j'écoute « La rueé vers l'or » et
je me dis que c'est exactement tout ce que j'aime. Comment est-il
possible que ces disques là n'apparaissent que lorsqu'on fouille
éperdument ? Le groin aux aguets, tellement de fois
bredouille.. je vais lire un peu, le deuxième jour du Thoreau, avant
d'aller flotter vers Vimala et Agnès. Quand Matt se sera tu.
Le ciel n'arrive plus à pleurer
tellement depuis des jours il a chialer sa race. J'ai de la peine pour lui.
À venir le 26 avril.. son nouvel
album, en attendant...
Matt Low 2021 « La ruée vers
l'or » sur Microcultures.
Près
du Butin ensablé, la Seine s’emmanche. Du laiteux mou s’engouffre
dans l’albâtre. La Manche n‘a que faire de l’océan, ici le
bras l'agrippe. Plus haut sur la côte de Grâce, à coup cassé, les
24 cloches retentissent.
Le
plissé de l'arrière pays en dit long sur l’humeur des nacres et
du crachin. Le carillon comme un phare s’époumone. Sous le pont
les navires n'entendent pas. Ils pataugent lourds et longent le
grondement sourd des dockers juste en face. Dessus, les bahuts y vont
et en reviennent. Je regarde cette huile beige épaisse et me demande
bien ce qu’il peut y avoir comme poisson dedans, le taux de sel est
la frontière. Quelles épaves aussi, englouties dans ce café crème.
Plus en aval, le va-et-vient des remous comme une hésitation. Le sel
ou le doux. Il doit bien avoir un endroit précis où l’équilibre
est tenu.
La
marée fait son lit, les berges attendent. Face au large, la vase du
Butin respire une fois sur deux. Les bras de mer me fascinent.
Celui-là crayeux et visqueux engloutit mes pensées. Toujours les
mêmes tentatives de pénétration, puis cette même démission.
L'afflux se gonfle et se dégonfle comme une molle respiration. Si le
bras vient purger toute l’eau de l’homme, l'eau de mer pleure et
prend tout. Lent débit des veines. Elle en déveine sans cesse tente
de repousser et recrache.
Émeraude,
Opale, Albâtre .. la côte Padma Newsome, Bryce Dessner, Rachael
Elliott and Thomas Kozumplik, les Clogs révolus, des petites
symphonies de poche en tableaux sonores. Ils composent cet
accouplement des eaux, alangui et perpétuel. J'ai l'iode et l'humus
sur mon museau.
Pas de Camélia maquillant le granit,
ni d'ajonc salé dorant les corniches, ici les candélabres jaunes
jaillissent un à un du sol vert bouteille dégorgé.
Chaque année l'opéra des crucifères
des plaines me mettent en contemplation. La moutarde monte au nez des
champs, le jaune colza donne le coup d'envoi du grand débourrage.
Tout sourde et tremble, l'impatience des cellules a pris fin. Hors
l'humain dit-on, tout tend à se reproduire. Et des tableaux
s'étalent des pieds à l'horizon, tout jute. La pochette de cet
album est un nouveau réconfort pour mon cerveau.
Les cordes sont sorties, les ciels
changent à chaque seconde, tout se charge d'ambition et un voile de
délicatesse voltige sur le chant d'Oisin Leech. Drake et Jurado
convoqués. Si les couleurs primaires prennent doucement le pouvoir,
« Cold Sea » en songe folk acoustique
embellit chaque lueur respirée. Oisin n'est pas tout seul pour faire
fleurir ses mélodies. Steve Gunn et M.Ward accompagnent.
De grands verts tendres traversent la
lumière, des nuances de rouge dansent avec le cadmium, le bleu est
partout. Dehors rutilant, des nids se bedonnent, et le bal des
insectes est ouvert. « Cold Sea » des
contrées irlandaises est venu dans une merveilleuse coïncidence
chanter les premiers colza et la fin de mes pages des fées de
Tesson.
Des jours entiers que le ciel nous
tombe sur la tète. Je suis imbibé, le cerveau moisi et les
articulations en mouillettes. Tempéré !! mes plaines en terre
d’Écosse, le désertique après demain.
Ceci dit, après des brouettes d'heures
à voir dégringoler des cordes raides, la fin d'après midi se
dégage, éclairant du coup les heures les plus belles d'un printemps
hypothétique. L'envie de me mettre bien du coup, et de me fondre
dans cette pâle lumière féconde, peut-être la nuit sera un autre
déluge.
J'ai sous le coude, un album sorti pour
l'occasion. Et je pense à mon ami éclairé Le Toine tapi dans ses
guet-apens fous et passionnés et qui dégaine son Magic ! à la
moindre occase. Cette pop moderne en lecture que moi j'ai lâché
depuis qu'ils ont quitté les promontoires.
Sans rien connaître de Dan Matz à
l'époque, j'ai embarqué cet album sans réfléchir. Quelques longs
temps après, il s'est incrusté. Pas emballé aux premières écoutes
donc, je l'ai mis de côté à plusieurs reprises, sans pour autant
boycotter son CV artistique. Birtdwathcher, puis son incursion chez
Young Gods Records, ses albums solo et le sublime «Carry me over »,
celui-là j'ai ramé pour l'avoir. J'ai fouillé, biné, pris du
recul, tout mangé, j'ai gravité autour de ce lancinant et doux
disque que je ressors depuis comme un trésor, une retrouvaille. Il
me reste certes la madeleine d'une certaine bouderie, mais la peau
burinée des ages accumulés, je le trouve indispensable et
fascinant. « The Same » et son injection vénale d'une
percée molle ensoleillée entre deux masses de gris intense
menaçant.
Du flou dans mes idées alors que
dehors la myopie semble se dissiper. La brume se lève, la pochette
familière respire.
Pas de refrain, une peinture, « Now
I know the sea ».. « Emotional Rescue »
pierreux pour les moteurs de recherche et un rythme qui s'accélère.
Et que dire de « Fall of 68 »...
Des ondes asiatiques que je m'explique
pas, des boucles, 2002..la grande époque de plein de choses, revival
ou pas. J'avais du Low, Notwist et Arab Strap en découverte plein la
tète. Celui-là je me le suis laissé de côté pour mieux
l’apprécier plus tard, ou plutôt le chérir enfin, maintenant.
La pluie a cessé, j'écoute un vieux
Windsor en feuilletant le numéro 62 du Magic ! de juin 2002.
Focus sur Piano Magic, Faultline, Sonic Youth ou Avril.. le disque du
mois : « The Emotional Rescue LP »
Windsor for the Derby 2002 « The
Emotional Rescue LP» sur Aesthetics
Des flots de café au lait ont envahi
tous les cours d'eau. Les sous-bois sans-soif prennent leur part.
Plus haut, là où ça capte, la horde d’hypnotisés rêvent d'un
autre monde, les crétins digitaux déambulent dans le tintamarre.
Sur le cobalt, de grosses meringues
flottent au dessus des arbres sans feuilles. L'horizon s'assombrit.
Clapotis laiteux, mes pas dans la terre
grasse, ici tout est calme.
Au fil des couleurs, une obsession, une
en conducteur.
Ça a commencé avec la maison de Bill,
crépi fraise avec une idée de chair à vif cuite par le soleil.
L’inconscient tapé de teinte, une idée comme ça surgit, c'est
pas la première fois ce déclic. Et tout s’enchaîne. L'intérieur
pochette de Marion Rampal était rouge lumière nuancé,
l'inconscient faisait son chemin. My Bloddy Valenine, mes tubes de
couleurs, j'ai dû en rêver.
Au détour des berges du canal Louis
XIV juste en bas de chez moi j'ai vu avec intensité des cognassiers
du Japon, rives empourprées. Rien pour arranger mon obsession du
moment. Rétine impactée.
Juste avant d'entamer ce week-end de
printemps biologique, j'ai embarqué sans réfléchir le dernier opus
de Mélanie De Biassio. Je la connais, « No Deal »
et « Lilies », ses ensorcellements. Souvent
passé devant cet opus pourtant, et ce geste précis sans réfléchir,
je le prends sans regarder, cette pochette bourguignonne.
L'émotion fut la même. Ce rouge
laiteux enferme la lumière, la retient, la dévoile en pâle nuage
comme un souffle de lèvres fiévreuses.
Mélanie ? Elle dépose à travers
ce double album improbable, le chemin migratoire et ses origines, de
l'Italie ses racines vers la Belgique son identité civile. C'est
troublant, introspectif, expérimental, une épopée que l'on suit,
l'histoire des siens susurrée. C'est un paysage sonore planant avec
sa sensualité, son émotion. Des clichés murmurés, des étendues à
peine chantées, « Il Viaggio » embarque, tout sauf
commercial, on pourrait lire son histoire, l'écouter et se laisser
happer. Enivrant comme un post-rock de bruyère, une belle Hellébore
de chair pourpre Mazzy Star .
Elle tombera amoureuse de moi un jour,
c'est pas possible autrement. Ou alors l'amour gerbé sert à que
dalle.
Je le sais, c'est chanté, quitte à
qu'on me l'avoue sur mon lit de mort, l'aveu pour mettre un terme à
ses douteuses respirations. Les chœurs au fond, le chant à s'y
perdre, toutes ces mélodies qui planent, les douces notes de piano
comme des baisers discrets en rafales de petits oiseaux volages...
c'est de la petite bière peut-être ?
Je n'ai pas couvert ma toile de lin
avec du orange vif et du rouge lumière pour rien quand même. Le
Prunus lui aussi s'est fardé du même rouge juste par delà de notre
chambranle.
Cette touche de cramoisie n'a rien à
voir avec mes doutes, c'est juste ma mélancolie empierrée, celle
que tu connais pourtant. Tu peignais tes ongles ainsi, tes paupières
pas loin, moi j'étais cramoisi. Tu le sais pourtant, que je ne suis
pas My Bloody Valentine plus que ça, c'est une coïncidence. Le
Shoegaze me fout dans le gaze, moi je voulais juste peindre le bout
de tes mains. Te dire que je te longe malgré toi, mais tu ne vois
rien.
Personne ne capte que dalle, c'est pas
faute de hurler à la mort, d'où elle sort la Marion qui me trouble
les artères depuis quelques jours ? Ça tangue au bord, je veux
bien danser tous les dimanches, un de ces dimanche de tendre jazz
folk chanté avec des mots d'ici, des canards, des zoiseaux, des
constellations.. « Tangobor » me tue.
Je rumine tout bas plein de petites
choses, entre les taies j'ai mêlé en boule nos pyjamas si jamais on
se faisait cambrioler, il y aura flagrant des lits. Il y aura des
traces absolument partout, comme cette musique que je badigeonne dans l'air.
J'écoute en boucle Marion et je peins
comme on change de vie, de palette. Matthis Pascaud à la guitare
dans la plus lumineuse des délicatesse, aux manettes aussi. C'est une recette merveilleuse.
Je regarde son parcours, je visite,
j'écoute avec intensité et insistance, peut-être vais-je rendre
jaloux. Il y a quelques joyaux qui sortent en ce moment, je le garde
près de moi adossé à la Cabane brûlée. Les rivières
souterraines pour ne rien arranger.
Marion Rampal 2024 « Oizel »
sur Les Rivières Souterraines.
Nick à pleurer, et tout commence dans
un chant de douleur.
Le premier pas dans ce jour nouveau à
peine allumé est tout chargé de pas grand chose. Il fallait bien
cette grâce sidérante au bord du désespoir pour en mettre un de
plus. Comment c'est possible de telles sublimes aurores, de douces
ténèbres à peine essuyées soutenant les lourdes premières
gorgées d'air. Moi qui voulais jouer les traînes-savates, c'est
gagné, je vais rester ainsi à danser sans toucher le sol, éviter
les tuiles essentielles.
Chaque chanson est une nouvelle louchée
de larmes, « Waiting for the Piano to Fall »
me tient par les baloches. Aucune trêve, jusqu'au bout ce disque me
fige et « Gift » sonne encore dans mon
crane.
Hymne des matins miraculeux, le
fantastique dehors des paysages qui se dévoilent, je vous assure
qu'il est possible de ne faire qu'écouter et contempler. Emballement
des émotions, trémolo dans la voix, mélodies lacrymales, je vois
des douleurs, des blessures et milles rayons de soleil. Le pou
effiloché, prisonnier des routines je dévore la fragilité.
Les nacres ont disparus, quelques
ombres font de timides apparitions, seul un merle semble jouer avec.
J'entends un nuage de passereaux sans les voir, à quelques pâté de
fossés d'ici la nuée cherche un lopin de champs pour affronter le
vent toujours pas levé. Deux nuages rosis sortent de la brume, va
pas faire un temps radieux aujourd'hui. Peut-être que le ciel aussi
écoute cette musique qui enchante mon matin.
Nick Wheeldon
2024 « Waiting for the Piano to Fall » sur
Modular ecords
Sûrement l’histoire d'une pochette.
L’œil s'est posé et tout s'est enchaîné. Un moment précis, en biais sur
cette rue pavée, juste en face de ces murs chaleureux.
Je connais la chorale, Bill aussi, ici,
du Sparklehorse dans ses veines, du moelleux de Granddady, des frères
Nourrallah, un maquillage Elliott Smith... et cette petite fumée
blanche pour montrer au soleil d'hiver que les murs luttent.
C'est un moment de plénitude cette
balade dans ce village perdu vanille fraise aux ombres épaisses. Je
vais faire le même tour en sens inverse, remettre l'album. L'oblique
aura changé, les pavés vont suer la journée et il faudra rentrer
avant que le vent mauvais nous grignote le naseau.
La trouée cobalt a ravivé les
façades, et le chambranle ciel accueille.
Demain, ce sera pareil une nouvelle
fois, comme d'habitude. Je repasserai comme tous les soirs par cette
rue pavée avec en face les mitoyennes vanille fraise avant de
redescendre vers la maison cachée de "Christinha" que j'aime retrouver
quand elle le veut bien, quand elle m'invite pour prendre un café
chaud et parler de rien à perte de vue. Elle a le visage anglais, on
a dû valser sur « How beautiful I am », pas sûr. Déjà
pas mal d'albums solo, toujours aussi envoûtants.Cette fois-ci, je reste de longs moments devant la pochette.
Des axes, juste un point de fuite, la
tronche qui batifole, une belle idée de mettre le quotidien en son.
Les cycles infinis et le rouge au flan
des cimes empourpre la joue des montagnes. Tout tourne, demain soir
l'accord aura pris du carmin sur la corde, une onde de cramoisie en
plus, et toujours les reliefs se fardent.
La voûte cosmique de mon plafond bave
de résonance, la réverbération sur tous les matériaux, cellules
et minéraux me renvoie des voix fantomatiques, des soupirs agrippés
à l’ellipse. Je tourne en rond, le son me balade, je suis avalé
et j'écoute sans bouger.
Je me souviens du « Point
de côté » de Dominique Petitgand, des bouts de
phrases chapardées sur une marée de silence. Félicia aussi.
Prononcer, psalmodier, murmurer à peine, juste histoire de guider le
son, les effets et les nappes de notes lymphatiques comme des
plaquettes tectoniques. L’œuvre de Félicia Atkinson est un monde
parallèle, strictement réservé à l'écoute qu'on peut lui offrir
à un instant précis. Abstraction du corps, lucidité des
battements, contrôle des respirations, la veine en lombric et
l'artère palpite.
C'est une amie qui s'invite dans vos
rêves les plus endolories. Une ambiance, une couleur, « Un
ovale vert » « L'après-midi »,
fermement ce coucher de soleil sur quelques chose qui perce
l'horizon.
Les roches chantent, je me souviens
aussi de la « Musique pour Statues et Menhirs »
d'Arbouse Recordings en 2009. Les ciels aussi causent, les horizons
bavassent, le jour qui tombe chuchote. Stephen O'Malley est venu avec
Félicia parler « Des pierres ». Tous ces conteurs
par le son.
Mes touches de clavier tremblent, un
flot de paroles dégoulinent depuis des jours sur la toile, tout est
dit, débattu, dégluti et vomi, quoi écrire devant ce mur d'yeux
perplexes prêts à bondir. A qui le tour.
Le travail sur le premier The Smile
avait duré un moment avant que j'en devienne accroc. Cette fois-ci
tout me brûle instantanément, toutes ces belles ondes qu'on lui
connaît, qu'on leur sait, et même les guitares King Crimson de
« Read the room » ou de « Under our
pillows » m'attaquent le bulbe. Petit jazz en remugles
Radiohead jamais autant mélodieux, je me suis assis subjugué. Pour
écouter, puis déguster, subir et encaisser, adorer puis suffoquer
quand « Bending hectic » a vrombi. Éjecté de mon
siège, quand elle s'est arrêtée, je crois bien que je hurlais.
Recouvrer mes esprits sur « You
know me ! ».
Quoi qu'il arrive, quoi qu'on en dise,
ne boudons pas, ne négligeons pas la boucle, fine ou vulgaire.. tout
ses yeux en abondance perpétuelle dans mes oreilles. Déjà tant de
débats, des flots dans l'eau. Cet album restera.
Je me farde au pollen blanc du
cyclamen. Un larsen grignote ma salive et le jour qui tombe embarque
avec lui l'odeur de ma vitesse. Les pâleurs s'installent avec les
ombres appuyées, j'ai dans l'idée la Soldanelle des hauteurs qui
fait pleurer la neige de ses chaudes cellules. Et si un disque
pouvait ainsi mettre minable une lamentable sauterie d'aigreurs. La
décrépitude des milliers de visages déglace les accotements gris
détrempés. À peine deux sourires tortueux et mon pas s'allonge.
Grand écart sur les gens, je me faufile robotique et imperméable.
Déjà la brûlure m'embrasse et la « Brûlée » me
chiale la respiration. Mon crane est un édicule de Cabane, tout
m'étrangle et plus je respire.
Plus aucune verdure, le noir a mangé
les épines et la chlorophylle des murs. Seules les giclures
d'électrons font briller des bouts de murs.
Tellement de promesses posées sur ces
pièces noires de monde, des artistes à tire-larigot, elles sont
tenues. « Brûlée » va me tenir des marées et des
lunes, et plus encore. Thomas Jean Henri commet son deuxième chef
d’œuvre. L'hyper beauté en rareté, un bijou à se procurer urgemment.
Des lumières de toutes sortes font
briller l'aluminium et le platine. Des températures de part et
d'autre éloignées du point zéro, le mercure en balançoire. On ne
sait même plus si tout se dilate, si tout est polaire. Une petite
chose semble sautiller, sable ou neige, moineau magnétique sous
l’œil figé de la grande chouette.
La résonance trouble des acoustiques
imprègne toute les émotions. La pointe d'une plume écrit
l'histoire des âmes sur le minéral. Un monde ancien pervers et
paradoxal fait écho sur quelques machines ondulantes. Le son est
extraordinaire. Les éléments chimiques se renvoient les atomes,
tout finit par fusionner.
Deux grands noms se percutent dans une
danse organique, Iridium et Silicium, Chauveau et Macé, architecte
et paysagiste sonores, l'échange s'étire à l'infini dans une
matrice de silence argenté. Cuivres et cordes se dandinent sur de
frêles ondes cybernétiques.
Sylvain Chauveau & Pierre-Yves Macé
2023 « L 'Effet rebond » sur Sub Rosa
Des éclats de rire au creux des dunes,
les enfants dansent dans le sépia. Certains disques sont rangés
comme des amulettes, juste adossés à de vieilles diapos.
L'oyat est foulée et le sable du temps
dégouline. J'écume les souvenirs dans un doux coma, tout se
recompose et Nits résonne en Alankomaat.
Le coucher de soleil est figé, des
joues rosées me sourient, le sablier est un con. Des images sont
punaisées sur la voûte, une vie en collage et des remugles à
déguster. Les enfants ont quittés nos murs. Plus que la boite à
chaussures en rétroviseur, ou le paquet de madeleines en douces
dunes dodues, quelques beaux albums d'alors envahissent mon huis clos
et du sable fin me coule sur les tempes.
Le blé d'hiver en petite houle de
janvier, je rebrousse en dansant sur le flamenco fou de « Sister
Rosa » avant de m'écrouler rassi et bercé par la mélancolique
basse des « Three Sisters ».
1998 en plein sente, des idées de
belles chansons toutes chargées d'amour et de manques me tournent la
tète. Sablier interminable en hélice folle, je vais rester encore
un peu suspendu avant d'atterrir.
Est-ce pour cela, que « Alankomaat »
est ma préférence des Nits ? Y'a de ça, c'est sûr.
Sur le cobalt pétrifié, un bouton sec
d'hibiscus s'est hérissé d'une délicate chevelure de gel. Le gris
détrempé a disparu, dehors la chambre froide ensoleillée parle de
patience. Rien ne bouge, pas même la plus hautes des fines branches
du bouleau. Les avions ne dessinent plus rien. Le glacis bleu se
dilue et tombe sur la ligne horizontale. Quelles autres nappes Eno
pour orchestrer cet instant.
Ces frangins là planent à 15 000,
flottent et insufflent, Roger pas moins que Brian. Deutsche
Grammophon s'est attendri depuis que les néoclassiques viennent
changer la palette et ajouter quelques machines délicates. Max
Richter et même Moby. Sous ces tuiles là, ils se sont à leur tour
fardés de grandiose, de son extraordinaire. « The skies, they
shift like chords » est un petit miracle matinal suspendu. La
terre est raide, les buissons pleurent la montée du soleil,
l’orchestre resplendit, c'est une grande et belle journée de
janvier.
Roger Eno 2023 « The skies, they
shift like chords » sur Deutsche Grammophon
Derrière chez moi s'étend un arrière
pays infesté par le vide. De longues plaines dévastées dominent
quelques vallons courbes peu profonds, ils sont doux et silencieux.
Une orgueilleuse ceinture d'arbres les démasque. À quelques
buissons de chez moi l’étendue happe, il est possible à certaines
heures creuses de la journée de n'y croiser personne. Ce moment
précis où tout se met à chanter, sans voix aucune. Le paysage
sonore qu'il faut aller chercher.
C'est la phénologie qui guide la
mélodie, le Celsius la tonalité, le vent peut être cuivré ou
argenté, qu'il glisse ou s'engouffre, les plumes d'or ou de
plaintes...la lumière mixe.
Ce matin la respiration est pastel, le
froid immobile a nacré les sons. Je suis allé fouler mon arrière
pays. Le drone ankylosé, le son des champs engourdi, je me suis
régalé de ce concert de cordes planantes et de nappes
mélancoliques, braves et pénétrantes. Je ne suis pas loin de mon
trou creusé quelques décennies déjà, à quelques charmilles
craquantes de là, que le gel fait chanter. Je sais que derrière moi
à bout de toits, Cyril Secq m'attend et qu'il a peint tout ça.
Astrïd chante mes paysages depuis que
le Ruthénois Arbouse Recordings a laissé s'évader.