Un genou en vrac, je profite de cet
isolement mécanique pour m'accrocher goulument à mes étagères
discographiques, l'occasion de plonger dans l'alignement vertical des
vinyles qui sentent bon la vieille pochette. Et Claude Léveillée
tourne et tourne au son des crépitements du saphir et l'autre genou
va bientot plier à son tour. Ou bien peut être est-ce le bruit des buches mourantes,
ou le clapotis des averses glaciales sur le toit automnal de la
verrière ?
Et j'entends à nouveau mon disquaire
de la rue des écoles me parler de ces auteurs, cette bande de poètes
dont on ignore la substance par flémme et qui prennent la parole. Je l'entends
encore, ému, me dire que ce vinyle là est dans le noir, au fond du
placard en dessous des bacs disponibles depuis des années. Columbia,
Gilles Vigneault en binôme, ces gueulards guidés par l'amour des
proches, des sentiments, des choses simples, de l'amour tout
simplement.
Il est un peu usé le 33T, certes, mais
authentique et la photo d'André Lecoz, la garantie en haute-fidélité
et le monorale en FL 303.
Très peu d'autres indications sur la
pochette d'époque, noir et blanc. Claude est beau dessus, fier et
léger, Vigneault se devine à travers, « tiens je te le donne »
finit par lâcher mon disquaire. Quelques galettes dans le sac,
j'ajoute celle-là pour laquelle j'aurai pu laisser quelques kopecks.
Et je pense à Gérard, mon oncle peintre qui aimait tant Léveillée,
avec qui j'aurais pu pleurer de revenir au port ainsi heureux comme
un marin après une pèche miraculeuse. Mon disquaire me l'a tendu,
et je veux le partager. Allez, plongez avec moi, laissez-vous
embarquer vers ces poètes meurtris, vers ce 33T rare que
j'ai cueilli, comme on part toucher du bout des doigts cette pierre
ultime d'un pèlerinage poétique nimbé de mélodies .. « comme
rivière à source défendue, ou guitare à la corde cassée .. un
cœur à l'amour s'est pendu ».
Plus que jamais les chansons prennent
aux tripes. Les cascades de piano nous dégoulinent sur le vague à
l'âme comme une symphonie de chansons francophones terriblement
humaines. « Ne dis rien » pourrait inviter Brel,
mais aussi Maurice Fanon. Et sans jamais tendre vers un auteur ou un
autre, Léveillée est un artiste unique, comme sa voix et son humilité.
J'aimerai bien aller chez François
comme Henri Tachan, ou chez Frédéric pour me foutre du monde entier
à parler de nos 20 ans, comme j'aimais aller chez Gérard.
« Claude Léveillée »
1963, son deuxième 33T, en collaboration direct avec Gilles
Vigneault engagé au « Chat noir », la boîte à chansons
dont Claude est directeur artistique.
Claude Léveillée 1963 « Claude
Léveillée » label : columbia
2 commentaires:
Quelle trouvaille! C'est bon à lire de chez vous.
Viii merci .. quand je pense qu'il a fricoté avec Piaf... beurk :D
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