Ce soir, j'ai envie de retrouver du
velours, des intonations, de l'alcool et des fidélités. Je vais
rejoindre un ami, jamais déçu avec lui, pas de surprises, mais je
n'en ai pas envie ce soir. Je veux du chaud, du bois et du
crépitement d'âme, un peu de lueur dans les yeux avec de l'humidité
aussi, juste ce qu'il faut. Du timbre ouaté dans les cordes. Un lieu
commun, un endroit qu'on aime, des odeurs d'arabica, des silences
aussi, qui en disent longs. La longueur d'une carrière, la douceur
des ambiances.
Ce soir, j'écoute « Dream
river » de Bill Callahan.
Jamais déçu...et puis, ces huiles
montagnardes, depuis deux albums, me rendent dingue.
Bill Callahan 2013 « Dream
river » label : drag city
Nos allures modernes nous poussent à
médire à défaut de méditer. La médisance fait rage au quotidien,
chaque seconde, et il faut s'enduire d'une imperméabilité sans
faille pour surfer sur ce purin, glisser, planer juste ce qu'il faut,
pour à peine au dessus, contempler ce qu'il reste, ce dont personne
ne prend le temps d'observer.
« Impetus » est un hymne à
l'air ambiant, aux paysages, une épopée cinématographique, de ces
fictions décalées dans lesquelles il faut s'immerger pour ne pas
être happer par la trappe, englouti par les gargouilles gloutonnes.
Denovali propose son nouveau remède à
la misère des âmes, sa nouvelle méditation. Elle est une auberge
qui accueille des paysagistes du monde entier. Sébastian Plano est
un néo-classique argentin, son nouvel album arrive chez nous,
violon, piano, accordéon pour de belles hauteurs mélancoliques.
Une véritable tuerie vient tout juste
d'exploser les bacs. From Boston, après de longues années de
silence, Barrence Whitfield and the savages arrive pour mettre le
zouc dans les caisses de nouveautés. C'est rétro, intemporel, wild
rock'n'roll et boggie comme Screaming Jay Hawkins, des cuivres et des
guitares comme dans les 50's, du garage blues comme Black Joe Lewis,
des énergies James brown, et de la puissance comme Jim Jones
Revue.... une voix terrible.
Si un disquaire met « Dig thy
savage soul » dans antre musical avec un gros volume, il est
possible que tout le monde se mette à danser, se bousculer avant de
tout péter, les étagères, le comptoir, et de bouffer les disques
en hurlant de rage et de plaisir. Un guronsan en suppo, Redbull en intraveineuse.
Enragé, sublime, véritable défouloir,
le retour de Barrence Whitfield est un plaisir suffoquant.
Barrence Whitfield and the Savages 2013
« Dig thy savage soul »
Religieusement celtique, pas loin du
littoral, aux allures londoniennes, le nouvel album de Sting sent bon
le large. Des fonds de cale à maintenir le cap, le sel des grands
vents traditionnels, « The last ship » en acoustique nous
conte de belles histoires de troubadours des mers et des terres qui
la bordent. Depuis « The soul cages », le bassiste de
Newcastle n'a cessé d'explorer ses racines, l'histoire d'une île.
L'habit ne fait pas le moine, la tenue
« Mad max » de la pochette n'est pas signe d'un retour
rock trempé, percuté de basses chaloupées. Il s'agit là, d'une
collection de ballades celtiques, jazz et fantastiques. Ceci dit, on
peut y entendre « Fragile », et surtout « Secret
mariage », ou encore « Island of souls », avec une
voix halée comme la peau d'un marin, voilée.
Sting a pris le large il y a pas mal de
temps, il raconte ses îles, la sienne.. des mouettes, des flûtes,
des accordéons... mais que fait la Police... rien, elle ne peut plus
rien faire, il vogue loin et proche à la fois, dans des eaux
intemporelles chargées d'un passé cymrique, d'horizons brumeux et
de terres toutes chargées de mémoires.
Puis je m'en fout de la Police, je suis
parti avec lui au loin. Des équinoxes que je le suis, même si
depuis « Mercury falling », j'ai un peu perdu ma
boussole.
Sting 2013 « The last
ship » label : interscope/cherry tree/A&M
Pour les mêmes raisons qui m'ont
terriblement accrochées sur « Felt Montain », je suis
conquis, absolument séduit par « Tale of us », le
sixième album de Godfrapp.
C'est aussi pour les mêmes raisons que
j'ai glissé sur les quatre albums intermédiaires, comme une
amnésie.
Ici, on retrouve le trouble d'une grâce
mélancolique, douce, enrobée dans une intimité symphonique. C'est
sensuel et délicat, même avec le discret réveil de l'électro sur
« Thea ».
A l'écoute de « Tale of us »,
je me perds dans les méandres romantiques et mélancoliques de Perry
Blake (« Still »), d'une Kate Bush vaporeuse, ou de
l'intimité brumeuse de Beth Gibbons.
Une bonne douzaine d'années après
« Felt montain »... amnésique.
Il faut quand même que je vous dise
que dans les années 80, je trouvais mon compte, j'écoutais quelques
groupes du cru, nés de cette décennie particulière.
La recette idéale conjugue ici, un
génie de la mélodie et musicien de haute tenue, et une diva
parolière à la voix extraordinaire, belle à attirer les foules.
Elle devant, lui derrière, une discographie presque parfaite. Les
33T (ainsi que Police) sont passés en boucle et me
rattachaient à cette décennie que je grognonnais. De la New Wave
luxuriante, resplendissante.
« Savage » en 1987, est un
album ultra sophistiqué, plus complexe que les autres, travaillé,
intelligent, moderne avec des idées musicales et sonores à la
pelle. 1987, c'est presque la fin des 80's, et comme « Press to
play » de McCartney ou « High civilization » des
Bee Gees, la liberté alors s'affiche comme une prise de risque, un
luxe. Pourtant ces trois albums sont terriblement bons.
C'est du Eurythmics, mais sous des
couleurs fauves, fraiches et technologiques. Il suffit de mettre
« Beethoven », « Shame » et surtout la bombe
atomique « Put the blame on me » pour appréhender
l'envergure de l'album. Je peux devenir zinzin sur cette dernière, à
peine les deux accords funky de l'intro qui claque, je pars en
sucette.
Entêtant, les gimmicks peuvent rester
incrustés dans le cerveau pendant plusieurs jours. Le look, la
pochette n'a jamais était aussi poupoupidou, classe. Dave
s'épanouit, Annie resplendit, les deux assurent comme une
délivrance, un point culminant. Je reste très mitigé quant au
suivant « We too are one » 89 ,le quasi dernier album du
duo, il y aura bien un ultime retour 10 ans après avec « Peace ».
En attendant, nous sommes en 1987,
Eurythmics époustoufle avec « Savage » facile, libre,
insolent et puissant. Ce duo là a tenu les 80's à bout de bras avec
une audace et une pertinence qu'il faudrait un peu remettre au goût
du jour. Eurythmics jusqu'ici n'est pas tombé dans les tourbillons
des rééditions, résurrections ou autres compilations.
« Savage », peut être un
de mes meilleur album 80's.
Le grand retour de Girls in Hawaii a
des couleur d'un voyage extraordinairement mélancolique, entre
Sébastien Shuller et Granddady.
Une petite envergure sonore pourrait
les transposer vers quelque scènes d'envergures, s'il n'avaient pas
en eux, cette moue grise maussade qui les rend plus beaux que
n'importe quel Coldplay.
J'aime avant tout cet intimité des
grands espaces vides, cette proximité du planant. « Misses »
est venu comme une complainte d'un carquois anodin qui finit par
transpercer, l'acupuncture du vague à l'âme, une ballade chienne
comme sait les écrire Syd Matters.
Ils ont pris un coup de cendre les
Girls, c'est pas pour me déplaire, du Jason Lytle labyrinthique sans
issue. Ça sent le laisser aller, la flemme inspirée, et une grosse
envie de s'envoler en pleurant.
Ça pique, c'est beau, nous sommes dans
un paysage de collines brumeuses, le ciel s'est couvert à jamais.
« Here i belong », on dirait du Lou Reed et le final
« War » est superbe, il achève.
Cinq ans de silence, « Everest »
déboule au pieds de l'automne.
La rentrée nous frappe de ses buzz
habituels, des choix imposés, le truc que si t'écoutes pas, t'es un
gros nase à la ramasse. Moi ça me dérange pas buse, sauf que là
je les aime bien, depuis longtemps, mais faut s'y coller quand même.
Tiens, bah je m'y colle sans attendre
que la vague passe. Je m'encolle le bulbe du son pop rock avec cette
petite touche arty dandy des iles britanniques que j'aime
particulièrement. Bah ouaih, les Beatles nous ont foutu dedans, faut
bien assumer maintenant.
Les îles britanniques tremblent, les
promontoires s'alourdissent, croulent même. Allez, je cherche pas
l'outsider planqué, je tape dans le tas direct. Le noir est la tenue
du moment, dans une grande surface des Halles qui vulgarise la
culture (F...), les bobos grouillent et se bousculent pour se ruer
sur le peuple, la pop. Du noir en barre, Franz Ferdinand à droite,
Arctic Monkeys à gauche. Toute façon pour moi je men fous, la messe
est dite, même pas peur, je les suis depuis le début.
Glasgow et trois accords, bim
imparable. Y'a tout dedans, ce qu'il faut, rien de plus, sel, épices,
la chemise en eau. Franz Ferdinand, les surdoués depuis presque 10
ans lâchent, naturels, pointus, décontractes, j'ai les anticorps
j'adore. Glasgow en drapeau, ça colle à la peau, dans l'urgence,
concis et implacable. Y sont même carrément chiants tellement c'est
toujours bon, voix, guitares, mélodies, rythmes..parfait, dix
pistes, une demi heure, pile dedans.
Arctic Monkeys, pareil, en plus
sophistiqué, le son énorme, un peu comme un The black keys qui
défonce les esgourdes. La même insolence. Sheffield fait vibrer la
plaque tectonique. Racé, un peu moins direct que Glasgow, mais aussi
puissant, sec et anglais. La pochette est charbon aussi. Deux slow
d'enfer à la Morrissey viennent braiser la peau.
La balance s'équilibre, elle penchait
franchement pour Franz Ferdinand, les deux sont excellents, vraiment
s'il fallait choisir ..
Tiens, une pochette fauve, celle de
l'icône starisée aux chansons impeccables depuis The Libertines. Le
disque est rangé pas loin, à quelques mètres des pochettes noires.
Ici Londres, on se rapproche du cœur, de l'épicentre brit-pop-rock.
Puis « New pain » tombe comme un Dexys/Barrett, des
accords faciles, de l'acoustique, de l'insolence dans l'écriture.
Babyshamble c'est de la belle poésie de chiendent, des belles
ballades à peine déglinguées, dedans, il y a toute l'histoire de
la pop britannique. « Picture me on a hospital »
m'embarque sans concession aucune, du Pulp/Dexys euphorisant et beau.
Un hymne.
Finalement, au milieu de tout ce beau
noir excellent, les couleurs primaires de Babyshamble sont venues
arbitrer le bras de fer des îles britanniques en feu.
J'ai la Manche qui me démange, j'en ai
plein la tète, laisse les pizza fiston, écoute-moi ça, on va se
faire des Big Ben Burger avec trois pintes de Beck's... ça te dirait
un nouveau séjour made in England ?...oh les p'tits cons !
Franz Ferdinand 2013 « Right
thoughs, right words, right action » label : domino
Arctic Monkeys 2013 « AM »
label : domino Babyshambles 2013 « Sequel to the
prequel » label : parlophone
Avec « Brother where you bound »,
Rick Davis s'est retrouvé aux commandes de
Supertramp pour la
première fois. Séparation à l'amiable et en douceur, mais une
certaine rugosité s'est fait sentir avec cet album 84, grave et
rock. Disparue la touche poétique et romantique de Roger Hodgson,
qui en parallèle, sort aussi son premier album solo. C'est un peu
Peter Sinfield qui se sauve des King Crimson et laisse un groupe plus
mathématique.
1987, deuxième album du nouveau
Supertramp, annoncé sous les feux par Zégut le dimanche soir sur
RTL, j'ai gardé mon casque jusqu'à minuit. La pochette, toujours
aussi belle, une habitude chez eux, le son, les 80's bien sur, en
pétard à l'époque, mais bon, c'était Supertramp. Côté Hodgson
ça sonnait moins 80's, j'allais m'y réfugier avec ma tète de
bougon.
Et pourtant, « Free as a bird »,
je le réécoute très souvent, enjoué par l'entrain, la vigueur
d'écriture rock-jazz de Davis. Ce fut quand même pour eux à ce
moment là, le syndrome du deuxième album. Il est extrêmement
musical, très gai, léger, même s'il persiste un thème progressif
« An awful thing to waste », mais qui se réduit en
timing (chanson très conseillée, du calibre de « Crime of
century » ou « Rudy » ou « brother where you
bound »). Enlevé et très arrangé, il pourrait se confondre
avec un opus commercial, une sorte de facilité pour rebondir sur une
autre carrière. Il n'a d'ailleurs pas battu des records et sera boudé par les fans.
« Free as a bird » a pris
de la bouteille, s'est peaufiné, parfumé, pris du chien et bien
vieilli, je l'ai pourtant boudé à l'époque. La moitié de voix est
fidèle, le clavier aussi, quel bonheur ce piano Davis, ce saxo
Helliwell qui cartonne, indispensable omniprésent.
Seul hic, l'apparition officielle de
Mark Hart pour remplacer Hodgson au chant, déjà sur scène sur
« Cannonball ». J'étais dans la salle quand je l'ai vu,
j'ai eu mal, j'étais en rogne, non pas qu'il soit mauvais, mais
qu'en fait ça le fait pas du tout, sauf en choriste. Mais c'est une
vieille histoire, « Free as a bird » est un album qu'il
est bon de remettre par nostalgie, pour écouter un bon Supertramp à
fond. Il faut les avoir aimer très fort pour se faire la malle dans
ce disque, accepter la séparation, écouter Hodgson en solo pour se
faire une raison, car comme en 1984, Roger sort en 1987 son deuxième
album solo « Haï haï » que j'aime beaucoup, mais qui
sonnera la fin de sa carrière « créative ».
Le vinyl exciste en trois teintes ,
jaune, rouge et la version officielle bleue. L'oiseau de la pochette
est découpé
Sarah Neufeld n'est pas seule a attirer
vers le large, sa sœur de cordes, Beckie Foon, a aussi suivi la
route du sel, l'onde celtique pour aller se poser sur les horizons
arabisants. C'est sublime, Esmerine, mon talisman constellé lâche
le gris pour les soleil durs, bouleversant comme « Passion »
de Peter Gabriel. Certes, l'album commence sur un classique du genre,
un morceau planant pur Esmerine.. c'est l'embarcation, le chant des
adieux pour une autre terre, une fois de plus l'Atlantique va être
englouti par la culture. Ça tangue à nouveau, toujours, la coque va
tenir, les vents de sables sont déjà sur les paupières, « Dalmak »
est aveuglant.
Si « Hero brother » est
l'invitation au voyage, ce nouvel opus d'Esmerine est le voyage, la
partance et l'arrivée après la traversée.
Je suis un voyageur immobile, je n'ai
jamais traversée de mers (juste passé sous la manche), encore moins
des océans, c'est surement pour cela que je vénère Constellation
records depuis 1998, sans cesse je suis parti pour des voyages autant
horizontaux que verticaux, Esmerine ou la frustration du voyageur
immobile.
Je vous jure que cet album est à
l'apogée du trouble. J'ai cessé de respirer, j'ai pleuré et je me
suis ligoté pour ne pas suivre l'appel du sel.
Métissage époustouflant et juste,
Istambul, Montreal. L'album de l'année.
Un nouveau chant de sirène me prend à
la gorge, je viens à nouveau de me laisser engloutir par les cordes
graves et séminales d'une grande artiste.
Ça tangue, des horizons de traits
noirs tracent sur le gris outremer, l'ocre vert. Un foutre argileux
vient lécher le safran des rochers, à nos pieds les remouds, du
gros bouillon et une palette. Un cycle. La peau est salée, du sel à
perte de vue, de l'eau des roches, du plancton et de des matières
organiques.
Le temps est au chagrin, c'est puissant
et fécond, tout berce et ravage la carotide, c'est chaud et froid.
« Hero brother » est un océan qui dégouline sur nos
terres, des flots de larmes sur nos argiles et nos limons noirs, de
la boue des berges.
Cet Atlantique qui a deux bras, le
Saint-Laurent et la Loire, les bras de mer dessinent et prennent,
tout finit dans l'océan, le cœur de nos bleus.
Sarah Neufeld (Arcade fire, Bell
orchestre, Esmerine...) érige un hymne des puissances salines
glissant sur des parfums terrestres.
Sarah Neufeld 2013 "Hero brother" label : constellation