samedi 8 octobre 2016

Kevin Ayers 1969



Au creux des clous quelque part avenue du Maine, je suis tombé sur un écrou. Impossible de lui donner un age, un quelconque numéro de clé, molette ou pas. Il est à peine rouillé et ici, tel un scarabée d'entre deux lignes blanches parallèles, un boulon est tombé.

A quel moment s'est-il lourdement déposé là, le peu de rouille laisse un maigre indice sur la date de son naufrage. Il est beau en plus ce con d'écrou sans côte aucune, j'ai toujours été un piètre métreur en ferraille. Quelque chose de déboulonné se balade quelque part dans le creux du bassin parisien, peut être pas loin d'ici, ou déjà sur une artère bouchonnée, pour aller où ? Aucun véhicule en rade sur les créneaux de la gaité, aucune carcasse écrouée par la panne. Quel engin sans cette pièce ?
Plus personne ne jette des boulons, surtout de cette taille dont je n'ai pas la moindre idée de la côte. C'est surement un chargement perdant sa quincaillerie, un oubli de benne ou un échafaudage voisin au risque de pourfendre quelques crânes passants et de fragiliser l'escabeau lâchant un mousqueton.
 

Une hanche qui craque, un boulon en pétage de câble au beau milieu des clous ?

 
Quelque chose de déboulonné vadrouille quelque part, loin surement, un truc qui flotte peut-être déjà trop loin, une breloque qui branlicotte. Mais j'ai pas les côtes, ni la moindre idée du diamètre, je le vois bien gros cet écrou à peine oxydé.. un putain de camion surement.. un bus .. ah merde, la ligne 91 avec les vibrations des pavés pour une carlingue de la ratp c'est risqué. Mais les pavés ne sont plus là, ils sont nappés par le pétrole, enrobés sur panam.
 

Peut-être une scène de ménage, elle dévisse. Elle lui jette tout ce qu'elle trouve sous la paume, sa caisse à outils, parce que lui est une belle ordure, elle s'en doutait un peu. Il ne resterais que ça de la caisse jetée, ce gros boulon lourd que l'aspirateur municipale n'a pas pu aspirer ? Ou peut être c'est lui qui a jeté sa collection dépotbrico, parce que elle qu'il aime vient de se barrer, ou n'est déjà plus là.

Dur, la vie est une jungle, fait chier ce boulon, j'vais rater mes trains avec cet écrou sans côte. Je ne sais pas si je le pousse du pieds vers le caniveau ou si je le récupère pour l'exposer, ou le montrer à d'autres. Il est dodu et beau, mais qu'est ce que je vais en faire ? Il a surement dû rouler comme une petite boule en mode octogo pour venir faire le Beatles là d'entre les clous.
Merde, mes trains... eh c'est peut être un boulon ferroviaire flottant, expulsé par la crémaillère d'une loco au dessus de ces putains d'immeubles pas beaux que même une antenne magnétique de terrasse n'a pas réussie à choper.
 

Il faut vraiment que je dévisse mon casque avant de perdre le pas, il est encré là, à diffuser son son depuis que je tournoie autour du boulon, j'en pète un ou pas ? Peut être je devrais revenir demain matin pour voir si l'écrou a résisté au trafic, s'il subsiste ou si une roue bien vissée ne l'a pas envoyé bouler sur d'autres clous.


Je pense à lui, le beau boulon sans côte, comme une capucine figée dans les énergies fossiles. Dans mon casque, Kevin Ayers cherche un dédale pour se faufiler à travers les méandres de mes anxiétés. Il revient des Baléares, un retour à Londres avec plein de chansons juste pour lui, pour les mettre en boite au studio Abbey Road.. tout près des clous mythiques. Syd Barrett n'est pas loin, un singer-songwriter déboulonné, du folk dépouillé, désorganisé, avec un boulon en moins.
En partance du Wilde Flowers, lâchant le Soft Machine, d'une légère allure déboulonnée, « Joy of a Toy » défile en boucle dans mes oreilles, comme un truc qui tourne pas rond, et que c'est pour ça que c'est aussi bon, du moins là, maintenant, à enjamber pour la énième fois ce lourd écrou à peine rouillé, échoué sur une artère, comme un disque « Harvest » jaune et vert en plein milieu d'un promontoire bitumé.

Improbable crooner pop, invisible, poétique, psychédélique, bon et déboulonné.


Kevin Ayers 1969 « Joy of a Toy » label : harvest

5 commentaires:

Alex De La Pop a dit…

Et Nico, Chris ;) Le live est génial, Eno y est plus punk que le punk.
J'aime bien Soft Machine et Ayers, j'ai acheté ce "Joy Of A Toy" il y a longtemps, mais j'avoue l'avoir moins usé que ses lointains cousins "Rock Bottom" et "Madcap Laughts" / "Barrett", il faut que je me le réécoute ça fait un bail.
Content que tu ressortes de la créativité de ces déboires techniques ;) A+

Francky 01 a dit…

Quel beau texte tu nous offres encore une fois, mille mercis !! Un texte rempli de poésie, avec une bonne dose de surréalisme, voir même d'absurde. J'adore ce style quasi "gonzo" : écrire longuement sur tout, sauf (ou presque) sur le disque, Hunter Thompson 2.0 !!!
Un disque madeleine de Proust perso : Il me renvoie immédiatement dans cette vielle ferme délabrée au fin fond de la campagne bressane, lors de ma période de collocation (fin 90's) où mon coloc' justement l'avait en vinyle, et le passait souvent. Tout comme pas mal d'autres skeuds de cette période (fin 60-début 70's) et de cette scène (Canterbury).
Pour ce disque se sont aussi retrouvés, lors des sessions studios, l'ami Robert Wyatt et Syd Barrett, ou quelques autres musicos aux CV Prog' prestigieux.

A + amigos@

charlu a dit…

Yes, tjrs pas revenus les liens :(.. il manque un boulon à mon blog ;D
Oui, il est bien allumé le Kevin, il va bien avec Barrett. D'ailleurs, j'ai une grosse préférence pour Madcap et Bottom.. c'est d'ailleurs assez bizarre l'effet que me fait les écoutes des disques de Ayers, comme qq chose de déboulonné, bancal, portant vachement bon.. avec une voix de crooner. Un joli p'tit voyage à chaque fois.
Je révise ces disques là avec la lecture du pavé "Ecole de Cantebury". et l'effet madeleine pour moi, c'est ce graphisme Harvest, jeune et vert, le côté prog et Floyd du rond central des vinyls d'époque.

En tout cas merci à vous 3 ;D

DevantF a dit…

Marrant cette idée qu'il serait un peu barré(t). Je le connais peu et davantage sa musique. Ce que j'en entends est influencé peut-être par le peu que je sais du bonhomme. Cool, nonchalant, un vrai. Je le trouve assez réfléchi et cohérent dans son parcours. Éviter le cramage de tronche tout en continuant à faire sa musique. Pas trop se compromettre dans le showbiz. Si il avait pu conseiller Syd Barrett, celui ci aurait peut-être était encore à faire de la musique?
Bon, maintenant il y a ton texte... Je me joins au compliment de Francky 01. Bien tourné au passage. Si Jimmy passerait par là, il aimerait, je retrouve certains textes de Nab quand il s'empare d'un objet. Haaaa le macro contemplatif. On s'y attarderait, on s'y perdrait.
Roy c'est la pause... et ensuite chacun son chemin.

charlu a dit…

Bon, ok, il est pas de la même hauteur perchée du Syd, mais quand même le gars s'est bien éclaté avec le soft et le wilde.. on a lu le même bouquin .. que j'ai du mal à finir d'ailleurs.. la quantité d'info au jour le jour ... pouarrff faut suivre .. mais bon, en voulant suivre précisément Robert, je me suis un poil éparpillé sur Kevin qui m'avais tjrs laissé un poil sec. D'où mon impression de déboulon.. j'aime bien écouter ses disques, mais y'a un truc qui cloche un tout petit peu, le genre de truc qui te fait t'immobiliser pour trouver la franche ouverture.. comme celle grande ouverte de Syd ou autres..Wyatt.. Caravan... bref, c'est chiant cette impression qu'il manque un boulon et que pourtant tout tienne impec ;D

Thomas Köner 1993

  La croûte gelée se ramollit, ventre flasque et tiède respiration. Le ciel se charge de l’halènes des Steppes, le silence gronde. Notre ...