Quelle similitude peut il y avoir entre ces deux arts en apparence très différents ? Les processus de création peuvent s’entrecroiser de déclics, d’inspirations communes pour des formats différents : des romans résumés en chansons, un titre ou une phrase développé en nouvelle… chiper l’inspiration pour s’exprimer de multiple façons.
Je ne saurai jamais pourquoi les disques et les livres sont les parties centrales de ma vie, je ne pratique aucun des deux, aucune composition, aucun texte, je suis juste spectateur. Aucun enseignement, aucun parti pris donc, juste des ouvertures, des curiosités et une gourmandise abyssale. Le temps imparti à explorer les bacs et les étagères est quasiment obsessionnel. Je ne saurai jamais non plus pourquoi la musique plus que la littérature happe plus violemment encore tous mes sens.
Mais les deux sont-ils étroitement liés ? La fuite qu’ils procurent est-elle la même ? L’état d’apesanteur dans lequel le cerveau se plonge à chaque lecture ou à chaque écoute provient-il de la même source ? Les romans chantent-ils ? Les écritures fredonnent-elles des ambiances différentes ?
Un « objet » fabuleux semble proposer quelques éléments de réponses, quelques clefs afin de mieux cerner les automatismes de constructions d’une chanson, d’un texte ou bien les deux. Les liens étroits des phrases qui claquent comme des mélodies et des mots chantés comme on résume une nouvelle. L’extrême difficulté à construire une chanson est d’exprimer dans un minimum d’espace toute une histoire en épousant les notes qu’on lui associe.
Dominique A met à disposition une expérience inédite. Avant de finaliser ses chansons, il a réuni autour de son album « tout sera comme avant » des d’auteurs contemporains afin qu’ils élaborent une nouvelle pour chaque titre de chanson :
« Beaucoup de livres, de littérature en particulier, m’ont inspiré des chansons. Pour des raisons que j’ignore, parfois telle phrase, telle expression, parfois un simple nom, semble jaillir de la page alors que je suis en train de lire, comme si les mots faisaient écho à une vieille idée en moi, ou à un souvenir.
L’idée d’un détournement de ce procédé, pour aller de la chanson à la littérature, m’est apparue en cours d’élaboration du disque. Pour avoir liés ces dernières années quelques liens amicaux avec des auteurs français, et pour avoir constaté qu’ils étaient au moins aussi intrigués par le processus d’écriture de chansons que moi par celui d’écriture littéraire, je me suis dit qu’il pouvait être intéressant de les amener à réagir sur ces titres de chansons correspondant à ceux du disque en chantier et distribués aléatoirement, un pour chaque, et sans autre indication que le titre lui-même, avec l’idée de donner ainsi au disque un faux jumeau sur papier. »
Evidemment il est très intéressant d’écouter et de lire, de prendre de front ces deux processus de création. A chacun alors d’aller pécher les quelques outils qui aideront à résoudre ou pas la cohabitation émotionnelle de ces deux arts.
Je voudrais m’attarder sur le texte de Brigitte Giraud, inspiré du titre « le bowling ».
Expérience d’ailleurs appuyée par la parution récente d’un recueil de nouvelles ;« l’amour est très surestimé » une des phrase de la chanson de Dominique A, « Surestimé » sur l’album remué 1999 . La pioche est cette fois-ci inversée. Ici, le contenu est connu, la mélodie dévoilée. Quel a été le déclic pour cette collection de nouvelles autour d’un constat très réaliste de l’amour au sein du couple ? le titre, la phrase, le texte, la mélodie, ou la chanson dans son entier ?
Pour revenir à l’expérience du « Bowling », on peut se demander si quelques pointes d’idées viennent se rejoindre autour de cette volonté commune de « dégommer ». Les mêmes mœurs sociales rodent autour de ce bâtiment, il n’y a plus de repère, ni dans la nouvelle, ni dans la chanson. La même mélancolie habite ce défouloir sportif, ce cliché instantanée de quelques heurts relationnels, d’amour difficile…
Dominique A s’est lui même adonné à cet exercice, proposant pour un même titre deux formats différents. Deux sujets opposés pour une même phrase. Les sombres chimères d’un noctambule mis en chanson, contre un sujet beaucoup plus concret. Il annonce écrire en général « avec l’idée du son des mots avant celle de leur résonance ». Une contrainte de plus par rapport à l’auteur « pur » qui n’a en tète que son sujet à développer.
Il semble évident qu’un format long doit laisser des ouvertures plus évasives et quelque liberté de développement. La contrainte architecturale d’une chanson est un jeu plus difficile, l’auteur doit écrire à travers sa portée, doit faire coller son phrasé à la mélodie qu’il a en tète. Et si l’inverse est vrai aussi, on peut facilement imaginer la difficulté de mettre de la musique sur un texte ou un poème qui vient avant la mélodie ou qui existe déjà. Comment Léo Ferré peut il exprimer avec une telle torpeur, une telle viscosité plongeante les couplets d’ « âme, te souvient-il ? » pour rebondir sur cette petite mélodie scintillante au piano ? Ce plongeon grave était il dans l’esprit de Verlaine lors de l’écriture du texte ? Chacun sa façon de construire son art. Beaucoup de musiciens ont mis Verlaine en musique de façon différente.
Si l’univers discographique de Léo Ferré nous est familier, il est assez troublant de se pencher sur « Des armes », un des rares textes qu’il n’a jamais mis en musique, et que Noir Désir a chanté en 2001 sur une vocalise et une envolée lyrique puissante. Cette composition inédite du groupe est-elle digne, fidèle ou décalée de ce lourd héritage artistique ?
La plupart des autres nouvelles ont des directions très différentes. L’inspiration très personnelle de « revenir au monde » avec une version littéraire très crue de Arnaud Cathrine sur la vie d’un adolescent. Une mise au point somptueuse d’Arno Bertina (« le fils d’un enfant »), avec des échanges magnifiques entre souvenirs et généralités, comme un ressasse lancinant, vient se comparer à la scène très réaliste et très personnelle de la chanson. Dobranoc, peut être la plus belle chanson de l’album et qui vient épauler douze ans après la complainte « sous la neige », offre un binôme à des années lumières de cette chanson tragique. Comment faire tournoyer des vies par des inspirations différentes autour d’ « éoliennes » ou de « clés » ? Qui est Mira ? Laquelle de la folie ou de la mort fait parler à des gens qui ne sont pas là ? Que faisons-nous pendant que les enfants jouent ?
Une fois encore je ne compose ni n’écris, mais quel serait mon processus de création s’il fallait le faire ? Je suis peintre amateur, je travaille d’après photo. Voilà donc ma tourmente, toujours ce processus de création, le déclic de l’inspiration. Lorsque j’étale de la patte sur le lin tendu, j’ai toujours dans les oreilles des musiques qui me semblent en adéquation avec ce que je veux retranscrire. Qu’en est-il à la fin de cette mise en condition, le son a-t-il vomi sa couleur sur la toile ?… une photo, une maison, une phrase, une chanson, un tableau… Je rêve quelquefois qu’il puisse exister quelque part un endroit unique où viendrait s’épouser les supports avec pour seul fil conducteur l’émotion épidermique commune d’une seule inspiration…..et si un livre pouvait être mis en musique et chanté juste en dessous de son tableau à travers lequel on pourrait dérober les mêmes contrastes, un seul déclic offrant plusieurs directions. Où s’arrêter, sur quel support, je me demande même s’il existe une boisson alcoolisée ou pas qui pourrait venir appuyer définitivement cet étourdissement artistique et sensoriel à travers laquelle on lirait et traduirait tout le sens originel des créations affichées.
Si d’un mot peut naître une chanson, une bicoque en ruine peut-elle engendrer une toile ou un cliché photographique aux couleurs et aux contrastes différents ? La maison peut-elle voyager géographiquement ou simplement changer de couleur. Une phrase peut elle déclencher la même histoire sombre qu’une mélodie mélancolique …..Lisez, écoutez, je vous laisse seul juge de cet étourdissant mystère de l’inspiration et de la création.
Je ne saurai jamais pourquoi les disques et les livres sont les parties centrales de ma vie, je ne pratique aucun des deux, aucune composition, aucun texte, je suis juste spectateur. Aucun enseignement, aucun parti pris donc, juste des ouvertures, des curiosités et une gourmandise abyssale. Le temps imparti à explorer les bacs et les étagères est quasiment obsessionnel. Je ne saurai jamais non plus pourquoi la musique plus que la littérature happe plus violemment encore tous mes sens.
Mais les deux sont-ils étroitement liés ? La fuite qu’ils procurent est-elle la même ? L’état d’apesanteur dans lequel le cerveau se plonge à chaque lecture ou à chaque écoute provient-il de la même source ? Les romans chantent-ils ? Les écritures fredonnent-elles des ambiances différentes ?
Un « objet » fabuleux semble proposer quelques éléments de réponses, quelques clefs afin de mieux cerner les automatismes de constructions d’une chanson, d’un texte ou bien les deux. Les liens étroits des phrases qui claquent comme des mélodies et des mots chantés comme on résume une nouvelle. L’extrême difficulté à construire une chanson est d’exprimer dans un minimum d’espace toute une histoire en épousant les notes qu’on lui associe.
Dominique A met à disposition une expérience inédite. Avant de finaliser ses chansons, il a réuni autour de son album « tout sera comme avant » des d’auteurs contemporains afin qu’ils élaborent une nouvelle pour chaque titre de chanson :
« Beaucoup de livres, de littérature en particulier, m’ont inspiré des chansons. Pour des raisons que j’ignore, parfois telle phrase, telle expression, parfois un simple nom, semble jaillir de la page alors que je suis en train de lire, comme si les mots faisaient écho à une vieille idée en moi, ou à un souvenir.
L’idée d’un détournement de ce procédé, pour aller de la chanson à la littérature, m’est apparue en cours d’élaboration du disque. Pour avoir liés ces dernières années quelques liens amicaux avec des auteurs français, et pour avoir constaté qu’ils étaient au moins aussi intrigués par le processus d’écriture de chansons que moi par celui d’écriture littéraire, je me suis dit qu’il pouvait être intéressant de les amener à réagir sur ces titres de chansons correspondant à ceux du disque en chantier et distribués aléatoirement, un pour chaque, et sans autre indication que le titre lui-même, avec l’idée de donner ainsi au disque un faux jumeau sur papier. »
Evidemment il est très intéressant d’écouter et de lire, de prendre de front ces deux processus de création. A chacun alors d’aller pécher les quelques outils qui aideront à résoudre ou pas la cohabitation émotionnelle de ces deux arts.
Je voudrais m’attarder sur le texte de Brigitte Giraud, inspiré du titre « le bowling ».
Expérience d’ailleurs appuyée par la parution récente d’un recueil de nouvelles ;« l’amour est très surestimé » une des phrase de la chanson de Dominique A, « Surestimé » sur l’album remué 1999 . La pioche est cette fois-ci inversée. Ici, le contenu est connu, la mélodie dévoilée. Quel a été le déclic pour cette collection de nouvelles autour d’un constat très réaliste de l’amour au sein du couple ? le titre, la phrase, le texte, la mélodie, ou la chanson dans son entier ?
Pour revenir à l’expérience du « Bowling », on peut se demander si quelques pointes d’idées viennent se rejoindre autour de cette volonté commune de « dégommer ». Les mêmes mœurs sociales rodent autour de ce bâtiment, il n’y a plus de repère, ni dans la nouvelle, ni dans la chanson. La même mélancolie habite ce défouloir sportif, ce cliché instantanée de quelques heurts relationnels, d’amour difficile…
Dominique A s’est lui même adonné à cet exercice, proposant pour un même titre deux formats différents. Deux sujets opposés pour une même phrase. Les sombres chimères d’un noctambule mis en chanson, contre un sujet beaucoup plus concret. Il annonce écrire en général « avec l’idée du son des mots avant celle de leur résonance ». Une contrainte de plus par rapport à l’auteur « pur » qui n’a en tète que son sujet à développer.
Il semble évident qu’un format long doit laisser des ouvertures plus évasives et quelque liberté de développement. La contrainte architecturale d’une chanson est un jeu plus difficile, l’auteur doit écrire à travers sa portée, doit faire coller son phrasé à la mélodie qu’il a en tète. Et si l’inverse est vrai aussi, on peut facilement imaginer la difficulté de mettre de la musique sur un texte ou un poème qui vient avant la mélodie ou qui existe déjà. Comment Léo Ferré peut il exprimer avec une telle torpeur, une telle viscosité plongeante les couplets d’ « âme, te souvient-il ? » pour rebondir sur cette petite mélodie scintillante au piano ? Ce plongeon grave était il dans l’esprit de Verlaine lors de l’écriture du texte ? Chacun sa façon de construire son art. Beaucoup de musiciens ont mis Verlaine en musique de façon différente.
Si l’univers discographique de Léo Ferré nous est familier, il est assez troublant de se pencher sur « Des armes », un des rares textes qu’il n’a jamais mis en musique, et que Noir Désir a chanté en 2001 sur une vocalise et une envolée lyrique puissante. Cette composition inédite du groupe est-elle digne, fidèle ou décalée de ce lourd héritage artistique ?
La plupart des autres nouvelles ont des directions très différentes. L’inspiration très personnelle de « revenir au monde » avec une version littéraire très crue de Arnaud Cathrine sur la vie d’un adolescent. Une mise au point somptueuse d’Arno Bertina (« le fils d’un enfant »), avec des échanges magnifiques entre souvenirs et généralités, comme un ressasse lancinant, vient se comparer à la scène très réaliste et très personnelle de la chanson. Dobranoc, peut être la plus belle chanson de l’album et qui vient épauler douze ans après la complainte « sous la neige », offre un binôme à des années lumières de cette chanson tragique. Comment faire tournoyer des vies par des inspirations différentes autour d’ « éoliennes » ou de « clés » ? Qui est Mira ? Laquelle de la folie ou de la mort fait parler à des gens qui ne sont pas là ? Que faisons-nous pendant que les enfants jouent ?
Une fois encore je ne compose ni n’écris, mais quel serait mon processus de création s’il fallait le faire ? Je suis peintre amateur, je travaille d’après photo. Voilà donc ma tourmente, toujours ce processus de création, le déclic de l’inspiration. Lorsque j’étale de la patte sur le lin tendu, j’ai toujours dans les oreilles des musiques qui me semblent en adéquation avec ce que je veux retranscrire. Qu’en est-il à la fin de cette mise en condition, le son a-t-il vomi sa couleur sur la toile ?… une photo, une maison, une phrase, une chanson, un tableau… Je rêve quelquefois qu’il puisse exister quelque part un endroit unique où viendrait s’épouser les supports avec pour seul fil conducteur l’émotion épidermique commune d’une seule inspiration…..et si un livre pouvait être mis en musique et chanté juste en dessous de son tableau à travers lequel on pourrait dérober les mêmes contrastes, un seul déclic offrant plusieurs directions. Où s’arrêter, sur quel support, je me demande même s’il existe une boisson alcoolisée ou pas qui pourrait venir appuyer définitivement cet étourdissement artistique et sensoriel à travers laquelle on lirait et traduirait tout le sens originel des créations affichées.
Si d’un mot peut naître une chanson, une bicoque en ruine peut-elle engendrer une toile ou un cliché photographique aux couleurs et aux contrastes différents ? La maison peut-elle voyager géographiquement ou simplement changer de couleur. Une phrase peut elle déclencher la même histoire sombre qu’une mélodie mélancolique …..Lisez, écoutez, je vous laisse seul juge de cet étourdissant mystère de l’inspiration et de la création.
Merci à Sylvie, Maryline et Armel.
réf :
« L’amour est très surestimé » - Brigitte Giraud – éditions Stock 2007
« Tout sera comme avant » : coffret livre/cd –Dominique A – labels 2004
« Remué » - Dominique A – label lithium – Dominique A - 1999
réf :
« L’amour est très surestimé » - Brigitte Giraud – éditions Stock 2007
« Tout sera comme avant » : coffret livre/cd –Dominique A – labels 2004
« Remué » - Dominique A – label lithium – Dominique A - 1999
1 commentaire:
Quelle tristesse que ce billet soit resté sans commentaire aussi longtemps. C'est un silence qu'il me fait plaisir de briser. Je remonte le temps de Charlu en souhaitant semer le présent. Tout est lié comme la trinité. Peinture, littérature, musique.
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