L'accord en A doux et
lancinant qui plane dans la pièce a chassé l'ennui du soleil. Les
notes majeures de « Cotton eyed Joe » tournent
comme des lentes révolutions. Les mêmes notes qu' « That
allright » d'Elvis. Le timbre de Terry en a aussi. Pas de
jeu de hanche, mais du bel alanguissement sous une lumière séminale.
J'ai ouvert les fenêtres,
il fait très doux, presque chaud, mi-décembre et les merles
déboussolés ont entonné leur concert matinal de janvier, le soleil
n'a pas encore commencé sa remontée. Peu importe. C'est à s'y
perdre, Terry Calier a soufflé sur le brouillard, encanaillé la
boucaille.
C'est une autre
remastérisation qui a enchanté ma journée. L'étoile reperd du
folk nu, comme si tout provenait de cet album.
Terry
Callier 1968/2025 « The New Folk Sound of
Terry Callier »
Outrepasser ce préjuger,
je ne suis pas du tout compilation, et je suis resté figé à
l'écoute de cette synthèse déjà sortie en 2004. Je l'avais
ignorée en 2010 quand j'ai découvert Bill Fay. La pochette plus
belle, une explication à mon engagement ?
Les prémices du
miraculeux, 1970. « Katie & me »
comme une jolie balade Macca. « Cannon's plain »
dylanien fige ma matinée de brouillard en épaisseur, tout n'est que
grasses silhouettes immobiles. Pas une seule couleur dans cette
lourde fumée, rien ne va se lever. Pourtant là, tout est à nu, clair et
immaculé.La brume a bouffé toutes les orchestrations.
Troublante discographie,
si peu d'albums, autant de tentatives regroupées ici, j'écoute
cette réédition comme un seul album. « The sun is bored »,
il boude en bas, il restera enfoui toute la journée, toutes ces
lumières qui clignotent l'emmerdent. L'intimité des mélodies
magnifiquement douloureuses enferme cet éternel matin.
Bill Fay
2025 « From the Bottom of an Old Grandfather Clock (1966/1970)»
L'orge amer en élixir
fermenté depuis des millénaires, John Barleycorn jeté en cendre
dans les eaux changées en flot de bière insatiable. Jethro Tull a
repris cette chanson traditionnelle sur scène en 1992, comme
beaucoup d'autres. Un autre point commun avec les Tull, la flûte de
Chris Wood des Traffic. J'ai toujours eu un faible pour ce son dans
les chansons folk-rock des 70's. Est-ce Tull ou l'instrument
d'abord ? Elle apporte poésie et ondes champêtres dans le son
qui sent la sueur et la binouze.
Au détour d'une visite
chez Crocodisc au beau milieu de la rue des écoles, j'ai fouillé
les bacs en remuant légèrement les hanches sous le son auguste de
cet opus qui ondulait dans la boutique. J'étais du côté UK, je
trouve très judicieux de ranger les 33T ainsi de chaque côté de
l'Atlantique. Dans mon dos le rock US, je suis allé plonger les mains dans
la lettre « T » des bacs britanniques. Bizarre ce petit
coin du monde où mon âme flanche avec préférence. L'imposante
histoire des States roules un poil en dessous de cet art insulaire
juste au dessus de nos tètes. Sûrement une question de féminité
et d'élégance en plus. De classe.
« John
Barleycorn (Must Die) » dans les mains, j'ai réalisé
qu'il manquait physiquement dans mes étagères !! pourquoi je
le connais aussi goulûment ? K7 ou Mp3 des jours entiers sûrement.
«Mr Fantasy », « When
the Eagles flies » et « Traffic »
1968
vont accueillir ce nouveau membre de la famille. « Glad »,
j'ai chaud, euphorique, je vais acheter encore plus de disques, jam
endiablé avant que Winwood en gorge ne chevauche la liberté sur un
sax grave... « Empty pages » en basse chaloupée,
quelle diablerie ! …
Cet album est une
perfection, Mason, Capaldi avec une des plus belle voix de
l'histoire. Et cette flûte en bois …..
Avec l'age, je suis
devenu un lève tôt. J'ai perdu l’habitude de laisser s'étendre
la nuit quelques heures de plus au fond des draps, quelques soit la
lumière dehors. Je me suis ainsi aperçu qu'à ces moments-là mon
cerveau comme neuf buvait mes lectures avec plus de puretés, sans
aucun éclat d'une journée pleine de monde, les sentiments décantés
dans mes pensées, les phrases étaient toutes à moi. Limpide avant
le brouhaha du dehors, avant que le vent ne vienne faire chuchoter
les feuilles ou siffler les branches nues, la lecture des mots de
l'auteur entrait bien plus clairement dans mes cellules.
Il m'arrive souvent le
soir, de perdre le file de ma lecture en me laissant malgré moi
envahir par les faits des heures précédentes, celles qui en plein
jours ont pu marquer plus franchement mes ressentiments. Relire une
page entière pour m'être dispersé en m'éloignant des mots. La
lumière est pourtant la même, le fauteuil orienté de la même
façon et je comprends certains auteurs travaillant au petit matin,
dès l'aube ou vers 4h.
Comme si j'avais perdu du
temps toutes ces années à traîner sur l'oreiller jusqu'au beau
milieu de la matinée, je prends un plaisir à sortir du lit au
premier rêve achevé. Rester dans une torpeur moelleuse, les idées
neuves, le rituel du calme dans la plus douce des délicatesses et
m'asseoir sous l’abat-jour avec Patrick Modiano dans sa "Chevreuse",
ou rendre visite à sa « Petite bijou ».
C'est un peu moins vrai
avec la musique. Un album en soirée est une guérison du quotidien,
soigner les grandes heures de lumière, une remise à zéro plus ou
moins profonde, l’accueil de mon huis clos pour une mise au point.
Pourtant, ce matin, le livre entamé est resté fermé sur la table
de salon. À peine 8h d'une journée à passer à la maison, j'ai
écouté pour la deuxième fois le dernier album d'Hildur Gudnadottir
que je scrute depuis des années quand elle frottait ses cordes
graves sous les tuiles du label Touch. Je suis amoureux de son
travail depuis « Without Sinking »,
bouleversante ode à la grisaille des paysages calmes et désolés.
Depuis quelques années, elle a pris l'habitude de travailler pour
des cinéastes, beaucoup de BO dont « Chernobyl »,
« Joker », ses ondes sombres et lancinantes
dans toutes les oreilles. Elle revient plus discrètement avec un
travail pour elle, un album miraculeux enregistré chez Deutsche
Grammophon, label de renom qui héberge depuis quelques temps les
néo-classiques.
J'ai laissé le jour se
lever derrière les stores encore fermés. Le cerveau lavé de tout,
comme prêt pour une belle lecture d'un roman qui apaise le flux
sanguin. J'ai écouté religieusement « Where to from »,
subjugué sans pouvoir bouger de mon fauteuil assombri par les ombres
obliques de l’abat-jour. Il aurait pu être la BO du livre entamé
depuis quelques jours, resté fermé tout près de moi sur la table
de salon. Le son à mettre en lumière les arcanes d'un temps passé
chers à Modiano. Je suis resté en écoute solennelle tout le long
des chants et des jeux de cordes, tout était différent de la
première écoute en soirée. Pris plus que d'ordinaire par
l'entièreté de son art, plus que le besoin de détente du soir,
j'ai compris beaucoup de choses. Il y aura désormais une sélection
de disques somptueux à écouter le matin, après quelques chapitres
d'un doux roman réservé pour les aubes légères, juste avant de
sortir croiser quelques gens, ou pas.
Ce son. Ces tuiles. Le
tout début. Jack vient de disparaître et Keith a décidé d’arrêter
de jouer avec ses doigts.
Je rabâche les murs,
insiste sur l'auberge, explore l'inépuisable du gouffre ECM le plus
souvent possible.
En amateur du genre je me
faufile, tente de petites expériences, l'électricité 69 de MilesDavis, le groupe de Pat Metheny, les claviers historiques Herbie
Hancock, la contrebasse Charles Mingus, des grands noms, des
classiques, j'explore l'IARC puis retourne sur Blue Note, quand ça
bave sur le rock, le prog, me nourris de documentaires, de blog et de
bouquins pour avoir les armes et les outils, et toujours … je
revins chez ECM.
Puis un cadeau vinyle
from Echiré, « Ruta and Daitya » à la
poste, ECM des débuts donc, celui de Jack Dejohnette & Keith
Jarrett. Une exploration sans fin.
Peaux tendues et
percussions sous le claviers fou. 1971, l'électricité est dans le
jazz, « All we got » brûle auprès des cymbales,
juste avant le tribal « Sound of Peru.. » et le
jeu fou de Keith. Free délire à la Saravah.
C'est un petit bijou
d'époque, une pochette naïve et séminale comme le son, quelques
petites îles fleuries sous des nuages en œufs qui pleuvent à
l'envers. Disque printanier, histoire de faire la nique au gris froid
de l'hiver météorologique. Merci Pap's.
Keith
Jarrett – Jack Dejohnette 1971 « Ruta and
Daitya »
Fichtre, qu'est ce que
c'est que ce groupe à la grosse discographie que je ne connais ni de
la fève, ni des dents. L'algorithme commence à bien me filer.
Un mélange de trucs que
j'aime, un shaker idéal pour un album pop rock comme il faut.
Easy simple et pas
compliqué, mais qu'est ce que ça balance bien. Mélodies, son,
groove, du Franz Ferdinand à la Pulp. Tiens, je pense au plaisir de
ma découverte des Minor Majority, il y a quelques décennies.
Au saut du train, après
une belle nuit bien profonde comme sait si bien m'injecter les
automnes, je me suis emmanché cette belle découverte. Réconfort du
lundi.
Épitaphe sardanapalesque
du salpêtre des âmes. Nuque sableuse, épicéa roussi, couronne
d'épines au pied des troncs, la rivière sous les arbres fume. Deux
silhouettes opaques rament et partent vers les collines ferreuses,
les paumes entartrées.
Scabreuse épigraphe sur
les fronts des rames caverneuses. Les longues larves syncopées
s'entortillent au dessus des égouts, les mêmes silhouettes s'en
vont. Une embarcation flotte dans ce grand tube en béton vers l'ocre
pâle du tuffeau. Les châteaux sont loin d'ici, juste un peu plus
haut.
Tout est saccadé comme
les saisons, l'habit du bougre n'a pas su trouver les belles
couleurs. L'homme-lombric s’épanouit sur les faux-plats et
l’apesanteur arrondit les douleurs. La résonance des sous-sols
apaise. Chaque émotion est un vaisseau spacieux.
L'abyssale symphonie des
longs rails noirs de monde qui dévale vers des rêves de cornaline
est déposée sur du Kraft noirci par la mine de plomb. Lettre orange en grosse
impression. Thom en chef d’œuvre Animal.