Je me suis perdu au creux du « Chemin de la vallée ». Tout du long, guidé par les peupliers laissant chacun à leur pied un rond jaune flamboyant comme des lampadaires.
Des heures perdues me soignent, je pars du silence, je m'offre le luxe du déshabité et je m'entortille à travers ce vallon joufflu qui avale la flèche du village, l'église St.Vincent d'en haut à peine dévoilée. De grands arbres roux les pieds dans l'eau narguent le clocher et tentent de leurs cimes de voir l'horizon. Le petit bourg enfoui, c'est Voise, la source. J'aime plus que tout ces heures qui flottent, 11h en semaine, extrait du trafic, pas âme qui vive, des véhicules dorment, les autres sont partis depuis des heures. Je fais le tri dans mes pensées, je farfouille tout ce que j’aurais pu oublier, tout ce qu’il me reste à faire. Je tente de tout accorder. Je me réunis.
Plus haut la plaine quadrillée de départementales laisse glisser un vent de caractère qui s'engouffre et m’accompagne. Pas de musique, que le chant des houppiers, le drone du vent. Pourtant, une poignée d’albums viennent à la surface, toujours des pochettes, des airs d’hymnes à la nature et le son en fond comme une résurgence.
Encore engourdi d'un lourd sommeil d'automne je serpente et me nourrit, épouse La Voise qui prend source au creux de ses dômes de limon. Plus loin, nous sommes rejoints par la petite vallée de Saint-léger-des-Aubées et nous fondons sur Roinville. La Bonde en halte claire où je croise deux personnes, je ne suis pas seul pour quelques minutes.
C'est à la naissance d'autres heures mortes que je rejoins le dédale de ruisseaux où se perd mon ruisseau, des disques dans ma tête s’affirment, je les convoquerai à mon retour.
Je tente de garder le débit mou de son flot visqueux, je me pose à nouveau à Angle, puis au bas creux du Gué-de-Longroi. Déjà la nationale et l’autoroute gronde un peu plus haut, il suffirait de gravir cette côte raide de Longreau pour revoir les artères nerveuses et surpeuplées. Je préfère passer sous le pont et changer de vallée. Je sens au-dessus de moi vrombir L'Océane, un drone de soupapes enragées. 14H30 perdu encore au fond d'une journée décharnée, je passe près du Petit Trianon de Catherine, j'ai perdu ma Voise, la vallée s'est élargie, les trembles sont moins anxieux, des aulnes leur tiennent compagnie, les chemins s’estompent et la rue Du Font Matou se dessine devant moi.
Tout semble baroque, grave, je suis détourné du chemin par un panneau fluo « Attention danger, exploitation forestière ». La dévastation donc, des troncs de ligneux ancestraux sont allongés. Pour qui et quelles raisons ? Plus j’avance, plus de grandes parcelles sont ravagées. Quelques musiques certaines se détachent, j’ai ma petite idée déjà. Dramaturgie des paysages, la nature sombre dans la désolation, bruit des forêts, isolement.
Plus loin, au pied de mes pénates, en contrebas de mes étagères à musique, je retrouve ma rivière, plus grosse, plus large, tout aussi molle, ambitieuse, fermement décidée d'aller rejoindre l'Eure sous les arcades de Maintenon, cette idée folle d'aller mourir dans la Seine et rejoindre la mer, se troubler des eaux parisiennes pour aller longer plus tard les quais tintamarresques du Havre.
Sur les hauteurs d'Honfleur, je me suis accoudé au bout de la rue Charrière de Grâce. Tout en bas, la plage du Butin, j’imagine toute ces fortunes de mer échouées là depuis des siècles. Estuaire est laiteux, dessus flottent des navires de toutes tailles. Les vieux dockers en face défigurent le paysage. Il n’y a plus de vent, un slow-core de vase glisse sur le relief. Je surplombe d'autres peupliers, un monstrueux navire de croisières repart et se laisse emmener par un tout petit morceau infime et dilué de La Voise.
Je sais définitivement quel disque je vais écouter. Après « Le Monde Réel », « The Great Awakening » comme un esprit de paradis.. « Quel animal fermera le bal, s'éteindra le dernier ? ».
Shearwater 2022 « The Great Awakening »
1 commentaire:
Y m'avaient un peu "saoulé" les précédents.. je l'avais perdu le Jonathan.. du coup j'ai mis du temps à écouter celui là. Je suis rabiboché ;D
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