L'ombre pyramidale
s'allonge sur les asters. L'aulne au dessus de ma tète a déjà
montré ses chatons avant de pioncer pour quelques mois. Faut se
dépêcher, le sommeil est pour demain. Les humeurs se pourchassent
et les rondins s’amoncellent. Tous les soirs je vois la forêt
mûrir et j'entends le lièvre craindre le plomb. Le bosquet de
sapins se fout de tout, son vert restera.
C'est une journée bien
fraîche, marée basse sur mes champs, le vent n'est pas revenu, ma
haie se repose, c'est moi seul qui la vois chagrin.
Avaler les confins,
marcher le plus possible malgré la lointaine embouchure, imaginer le
sel sur la peau et l'horizon s'inverser, bleu outremer en bas,
ocre-gris en haut, Nina et Johanna à nos côtés. The Cardigans et
First Aid Kit convoquées.
Je me balade souvent avec
James. Je l'ai connu avec ses Athletes, « Tender to the
blues » est toujours aussi à vif dans mon esprit, avec
cette pochette western des côtes écossaises.
Tandis que je cherchais
un coin pour fuir cette mer imaginaire sur laquelle je sifflotais, le
réconfort est venu de ce trio opportun, un acoustique pour mon huis
clos chatoyant.
James
Yorkston and Friends 2025 « Songs for Nina and Johanna »
Freak c'est pas branleur
ou alors y'en a aussi dedans. Un bouquin, une mine que dis-je, un
gouffre.. La culture musicale british par le bout des freaks. Loin
d'en être un, je pioche et picore les brides de ce qui m'aurait plu
d'être, ou pas. The Auteurs, The Jam, The Go-Between, Gene Vincent..
et je comble mes manques, je connais et puis pas trop finalement.
J'écoute tout. Même The Shadows, les premièrs amours de Luke
Haines.
Et je tombe sur « The
Evening Visits.. », The Apartments. Il y'a quelques
semaines je parlais de Guy Blackman et sa fragilité bancale à
ravager le chant par l'émotion ou la défonce. Troublant comme un
Daniel Johnston chialant, je suis resté fébrile « All the
bithdays », revigoré, confiant et dubitatif.
Démissionnaire et orageux. Un pan s'écroule sur le flan de mes
lacunes, envie de boire fort et de me barrer sobre au plus lugubre
des caves de mon sombre gourbi. C'est beau et dégueulasse, ça sent
mauvais la spirée de sublime caniveau. Ça sent pas le fric, plus
aucun freak par chez moi, je ne suis ni l'un ni l'autre, je n'ai pas
le choix, ou l'envie, et vice et versa, il n’empêche, pour une
soirée, une lecture, une plongée en apnée extraordinaire dans le
Londres barge underground imbibé et acide avec en plus l'âme de
l’hallali qui hurle en alarme étouffée.
Les pages défilent, et
« Someone Else's wife » débarque. Les Go-Between.
J'archive tout dans un coin de mon désespoir, au cas ou il me
viendrait l'idée de vriller sur mon age, ça aurait pu, ou pas, je
ne suis pas freak pour un rond .. pourtant merde.. « The
Clarke Sisters »....
Je lis Luke Haines, je
prends tout, écoute n'importe quoi. Un bouquin comme ça il y a 20
ans c'était 10 bibliothèques et des jours à courir pour tout
écouter. Là je suis avachi comme un vieux boomer qu'a jamais bossé
et je crowle sur le stream pour combler. Je me régale ou pas. Je
patauge. « What's the morning for ? » amoché.
Je suce des roues, je suis en dilettante et méritant, je me dégoutte
des fois, j'ai quelques idéologies, plus utopiste qu'hédoniste,
j'aime bien le sport et sortir en short l'été.. ouaih nan je n'en
suis pas.... j'ai rien d'un bohémien, ni intello branché..et puis
j'ai rempli ma besace avec tout ce que j'aime. Ça pèse son poids de
fric ce truc. J'écouterai pas tous les soirs, mais ...
On s'en fout des
tiquettes, et puis des « sectes », groupes, meutes ou
autre revendications pour s'extraire et cracher dans le potage, il se
le répète un peu trop souvent le Luke que freak il est .. allez, un
petit foot, un clash, une claque sur le zob puis un autre The
Apartments.
The
Apartments 1985 « The Evening Visits..And
Stays for Years »
Brutal coup d'automne sur
le coin de la gueule, une cinglante sape sur les guibolles et le
retour de la meute. J'imagine que mon wagon s'est empli,
je n'y suis pas allé ce matin, je suis resté près de cet ampli à
chercher l'onde musicale qu'il faut. Un indice, un objet bilan sur
les frères Montgolfier vient de paraître. Voilà, j'ai trouvé
malgré la vitesse des nuages. Quigley & Tranmer, pas sûr de
prendre de la hauteur.
Orion se redresse et
laisse tomber l'aube en feu nacré, avant de disparaître sous la
voûte et les trombes à flagelles. David Gilmour et sa fille
chantaient « Between Two Points » il y a un an. Je
me retrouve là, flanqué sans arme à farfouiller au plus profond
des étoiles à relier, comme les points au crayon sur les cahiers
d'exercices scolaires pour les vacances.
« Seventeen
Stars » me dilatent, m'éparpillent, le torchis est
détrempé, festin des sols craquelés. Les rampants rempilent et les
arbres pensent à la démission.
Le son des accords comme
sur l'image, le clavier aussi, tout s’arrête, le ciel canadair a
éteint mes champs incendiés, si les wagons se remplissent comme des
oies, les barques fatiguées flottent sur une mer reposée. Balayer
les fantômes, ratisser la plage ou laisser la houle bodybuildée
faire le travail. Quelle tristesse. Des tonneaux de crèmes solaires
déversés sous l'écume et les quais croulent à nouveau.
Enfin, j'imagine, je n'y
suis pas allé ce matin. J'ai remis The Montgolfier Brothers 1999,
histoire de laisser le crachin faire son malin, avant que l'été
revienne sur mes plaines. Ou pas.
The
Mongolfier Brothers 1999 « Seventeen Stars »
sur Vespertine
Petit huis clos,
canape-chaussons et pochette foireuse, titre pas inspiré, ça part
mal c't'affaire.
Pourtant, dès la
première note le charme balaye toutes les premières impressions,
même celle d'une platine qui tourne mou, ondulé un poil.
Des tonnes de
flemmardises et des petits morceaux confortables, complètement
séduisants. Tellement de demos l'habitent, des airs de cowboy
urbain, JJ Cale anesthésié, Nick Wheeldon joyeux, même sur « Five
Eay Hot Dogs » en 2023, Mac n'avait pas eu la force de
chanter.
Oui mais voilà, la magie
Mac opère, imparable, croustillante. Le sens de la mélodie. Merde,
j'ai la flemme de me lever tourner la galette. Touchez pas à la
platine, ça tourne normal, Mac est lui, DeMarco est là. On est
bien.
À JJ-Johanson, on
remplace une pincée de mélancolie par une once de jazz ambiant,
trip hop toujours en sourdine. On ôte un voile de délicatesse à la
voix et joint quelques cuivres agiles, « The Coldest Man
Alive » de Peder Pedersen est un diamant sonore, une
petite merveille d'album, la belle découverte du jour.
Miraculeusement nappé de dorures crémeuses, mais pas trop, une
petite perfection.
Une arborescence d'écoute
m'a menée vers cet artiste danois. Son CV n'avait rien pour
m'attirer. Souvent quand je ne sais pas quoi écouter, je sors un
coffret Nova, de la « haute musique », tout s'est arrêté
sur un morceau, et moi sur cet album. J'vais m'la péter lors de la
prochaine soirée entre amis, ce n'est pas de la musique de fond,
c'est tellement plus, ils vont tous me répondre JJ Johanson, normal,
l'équilibre est parfait et le moment délicieux.
Country alternative du
Vermont. Je commence direct technique car cet album me tombe dessus
et je n'ai rien sous les dents qui puisse mettre en herbe cette
petite dinguerie. Avec le bouquin de Luke Haines, je me suis un peu
enlisé dans ses délires avec l'impression d'avoir visité une
secte, allant jusqu'à écouter ses arborescences musicales,
notamment Peter Buck etc. Je change d'air, sorti de tout ce
« bancal » foutraque radical et narcissique, Greg Freeman
chante son « Burnover », il m'a ouvert les
portes donnant sur un ciel éclatant, populaire avec beaucoup d'air à
respirer.
Comme c'est une
découverte, je cherche et farfouille et tombe sur son premier et
précédent album qui me plaît plus encore. Je plonge dans ma came
Oldham-Lytle-Sparklehorse-etc-etc avec du Molina dedans.
Je reviens sur « Rome,
New York » et je vais me nettoyer les enceintes avec ce
rock outre-atlantique pêchu comme il faut, tendre comme il fait
tiède, De Marco, Kurt Vile, Kevin Morby… à ranger avec.
Fait un peu chaud
finalement, les glands tombent mais pas les marrons, je sais pas
pourquoi je dis ça, y'a plus de calendrier, mais je vois quand même
à peu prêt où on en est avec tout ce merdier. « Curtain »
m'enchante, et je vous laisse sur « Gone... ».
Juste quelques petites
infidélités, un autre ciel discographique de temps en temps, moi je
ne connais Chesnaux que sous un ciel constellé. « Say
Laura » est un instant particulier plus encore. Son
jazz décortiqué, volage et éthéré, l'Epiphone lui va si bien.
Des cœurs d'éponges en douces émulsions de basalte. L'intimité
s'est installée, j'ai arrêté tout ce que je faisais et j'ai
contemplé. C'est comme un tableau qu'on ne voit jamais de la même
façon, un Nick Drake ondulé. Chaque écoute change la lueur et de
lumière. Oblique ou en applique elle prend tout et nous farde, « Say
Laura » plus que les autres, tellement de choses
ressenties.
C'était il y a trois
ans, rien à changé et tout s’acclimate. Juste avant de sortir
prendre la moiteur d'un été au vestiaire, plus beau encore qu'un
paradis alangui, « Say Laura ».
Eric
Chesnaux 2022 « Say Laura » sur
Constellation